Depuis quelques semaines, les urgences québécoises ne dérougissent pas en raison des cas de grippe (ou influenza). Certains parlent déjà d’une «explosion» des cas et même d’une «épidémie». Mais qu’en est-il vraiment? Le point avec l’épidémiologiste Gaston De Serres, de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et membre du Comité sur l’immunisation du Québec.
Une saison de grippe intense
Ce que vit le Québec ressemble à ce qui se déroule dans le reste de l’Amérique du Nord. Beaucoup de cas de grippe se sont déclarés de manière plus précoce, mais la situation n’est pas alarmante. «Nous vivons une saison plus intense que les années précédentes. Et on peut clairement parler d’une épidémie d’influenza: dans les 45 hôpitaux du Québec, deux fois plus de cas ont été déclarés pendant la semaine du 8 janvier (2500 cas) que pendant la semaine la plus intense de l’an dernier (1100 cas)».
On ne va toutefois pas jusqu’à parler de pandémie de grippe. Une épidémie est une maladie infectieuse qui se répand rapidement dans une région du monde, alors qu’une pandémie est cette même maladie qui se répand à l’échelle mondiale. Différents types de grippes qui se répandent à travers l’Amérique du Nord cet hiver n’en font donc pas une pandémie, comme l’avaient été la grippe espagnole (1918-19), la grippe asiatique (1957) ou la grippe de Hong Kong (1968).
Une saison de grippe particulière
La grippe est une infection respiratoire causée par un virus qui peut prendre différentes formes d’une année à l’autre – c’est d’ailleurs ce qui explique que plusieurs recommandent de se faire vacciner chaque année. Or, la particularité de la saison de grippe 2017-2018 est double, selon notre expert de l’INSPQ.
D’une part, la répartition inhabituelle de deux des types du virus, appelés A et B. «Normalement, les autres années, nous avions 85% des cas de type A (pour les experts : H1N1 et H3N2) pour 15% de type B. Ce qu’on retrouve cette année, c’est plutôt 63% de A (moins de H1N1 mais plus de H3N2) et 37 % de B – soit deux fois plus que l’an dernier», relève le Dr De Serres.
D’autre part, ces deux types d’influenza se sont développés fortement et précocement. «Normalement, le type A émerge en novembre et le type B, en février. Là, les deux circulent en même temps et de manière intense», soulève l’épidémiologiste.
Les vaccinés de l’influenza
«La couverture vaccinale des personnes âgées (58% chez les 65 ans et plus) est meilleure que celle des jeunes enfants (35% chez les 6-23 mois). Mais même chez les aînés, cette couverture reste sous-optimale», détaille le chercheur.
Pourquoi si peu de vaccinés? «C’est une maladie qui n’inquiète pas les gens, elle revient toutes les années et la population vit depuis longtemps avec. La perception du risque reste faible.» Les plus malades, particulièrement les aînés, finissent par consulter et aller aux urgences, mais c’est souvent trop tard…
Davantage de personnes âgées à risque
Or, les personnes âgées sont justement celles qui risquent de développer des complications sévères cette année en raison de la recrudescence des cas de H3N2. Elles ont en général une moins bonne réponse immunitaire à cette souche qu’au H1N1 parce qu’elles ont déjà été exposées à un proche cousin de ce dernier. « Le risque de mortalité reste toutefois modeste », tempère Gaston De Serres. «On parle de 5 à 10%» pour les symptômes les plus sévères – ceux qui nécessitent une hospitalisation.
Une récente étude québécoise vient toutefois de remettre en question cette «protection croisée» acquise au cours des différentes expositions à la grippe. Les personnes âgées seraient donc plus à risque qu’on ne le croit et «leur taux de mortalité pourrait dépendre de la première infection», assure Alain Gagnon, premier auteur de l’article, dans un récent communiqué de l’Université de Montréal. Cette étude suggère que les personnes nées après 1957, ayant eu comme première exposition à l’influenza un virus H2N2, auraient eu par la suite une moins bonne réaction lors d’une infection au virus H1N1 de 2009, et c’est ce qui aurait causé cette augmentation du risque de décès. «Cette étude soulève une hypothèse qui devra être évaluée par de meilleures études», réagit Gaston De Serres.
La grippe vs la vaccination
Ce débat d’experts est fondamental au débat sur la vaccination: jusqu’à quel point avoir déjà eu la grippe nous protège-t-il? On sait par exemple que, dans le cas des enfants, la proportion de ceux infectés et présentant des symptômes «sera élevée chez les plus jeunes et diminuera progressivement avec l’âge, parce qu’ils ont acquis une immunité liée à leurs infections antérieures», explique le Dr De Serres.
On sait aussi qu’être en contact avec un porteur de la maladie ne signifie pas qu’on va l’attraper — ce sera le cas seulement d’un adulte sur trois.
Avoir déjà eu la grippe nous protège. «Mais pas à long terme», précise le chercheur. C’est pourquoi la meilleure protection est donnée par la vaccination.
Quand se faire vacciner?
Alors que les cas de grippes se multiplient entre novembre et avril, la meilleure solution pour s’en prémunir est de se faire vacciner avant, et non pas en plein cœur de l’hiver. Il faut toujours calculer une période de deux semaines pour que le vaccin fasse effet, précise le chercheur.
Vaut-il la peine de se faire vacciner chaque année? Cette promesse de réduction des complications et du maintien d’une bonne protection face à l’influenza fait toujours débat chez les scientifiques. Une étude américaine parue en 2016 a même conclu que de se faire vacciner à répétition serait moins efficace que lors de la première fois. «Ce n’est pas un phénomène constant et la variation du virus suscite plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Cela dépend du vaccin et de son efficacité», rapporte le chercheur.
Le vaccin contre la grippe est-il vraiment efficace?
Le virus de la grippe subit en effet des «variations» – des mutations – à cause desquelles il est toujours difficile de prédire quelle sera la souche dominante l’année suivante. Ces variations expliquent pourquoi l’efficacité du vaccin varie autant d’une année à l’autre.
Les organismes officiels rappellent à ce propos que pendant l’hiver 2014-2015, l’efficacité du vaccin avait été particulièrement basse – on parle parfois dans les médias d’un taux d’efficacité de 0%!
«Le vaccin en 2014-2015 n’a pas protégé contre le sous-type H3N2, admet le Dr De Serres, mais il avait une efficacité de 42% contre l’influenza B» (voir la publication jointe). «Son efficacité globale était donc de 9% globalement. Pour l’efficacité de cette année, nous sommes en train de faire l’étude», on le saura d’ici février.
Un vaccin universel?
D’une année à l’autre, L’efficacité varie de 35% pour le H3N2 (A) à 60% pour le H1N1 – et près de 60% pour le B. «L’effet global de la vaccination n’est pas si mal, mais cela reste encore médiocre, nous aurions besoin d’une protection universelle», souligne le chercheur.
Différentes équipes internationales y travaillent et une équipe américaine se démarque, mais cela reste des produits expérimentaux. «Il faut cibler, ce que les vaccins ne font pas pour l’instant, des parties du virus où ne se trouvent pas les mutations et qui sont vitales pour le virus», dit l’épidémiologiste.
Pourquoi ce manque d’efficacité?
Pour bien comprendre l’efficacité réelle du vaccin, il faut saisir le calcul de l’efficacité globale du vaccin, car chaque vaccin offre une protection multiple, c’est-à-dire qu’il comprend trois ou quatre virus.
Si l’efficacité du vaccin pour une saison donnée est, par exemple, de 35% contre le A (H3N2), de 60% contre le A (H1N1) et de 55% contre le B, le calcul de l’efficacité globale dépendra de la fréquence de ces trois sous-types. Par exemple, si 60% des cas de ce même hiver sont dus à l’influenza A (H3N2), il faut donc calculer que 35% de ces 60% auront eu une protection efficace grâce au vaccin, et faire de même avec les deux autres sous-types.
«La saison suivante, comme l’efficacité vaccinale contre chacune des composantes sera différente et que la distribution des types/sous-types d’influenza sera aussi différente, le calcul aboutira à un résultat différent», explique Gaston De Serres. La baisse d’efficacité globale du vaccin dépend donc autant des cas recensés que de l’efficacité du vaccin lui-même.