Non seulement consacrait-il le plus clair de son temps à balayer les planchers et à vider les cendriers à l’aéroport, mais il passait aussi la vadrouille dans une taverne tous les soirs. Il nous faisait même participer! Le dimanche matin, toute la famille l’aidait à nettoyer un restaurant chinois et une brasserie à Dorval. J’en ramenais une odeur de bière, de cigarette et de won-ton frits. Je détestais ça et je faisais tout pour que personne ne découvre à quoi je bossais la fin de semaine.
Au cégep et à l’université, le contraste m’a frappé : ‘ai rencontré des gens dont les parents étaient avocats, écrivains et médecins. Il m’était difficile d’imaginer des parents qui parlaient le même langage que leurs enfants.
Mais j’ai découvert autre chose, à peu près au même âge. Plus j’avais d’interactions avec les autres, plus je me rendais compte que la personnalité a peu à voir avec le titre, les études ou la réussite financière. Une fois qu’on a dépassé la première impression et qu’on cesse d’être impressionné par un titre, la vraie personne commence à émerger. On découvre des êtres généreux ou égoïstes, effacés ou vantards, étroits d’esprit ou tolérants, confiants ou craintifs. Il faut peu de temps pour découvrir qu’aucune profession ne compte que de bonnes personnes parmi les gens qui la pratiquent.
La mesure d’un homme
Alors, quels paramètres utiliser pour mesurer une vie? Le titre et la richesse gardent leurs attraits, mais ils ne supportent pas un examen en situation réelle. La vraie mesure d’un homme, on la prend en étudiant son cœur et son caractère, sa générosité d’esprit, ce qu’il fait de ce que la vie lui envoie et la maturité avec laquelle il fait face à l’adversité et accepte l’infortune.
J’ai encore l’impression de provenir du «mauvais côté de la voie ferrée» lorsque je suis entouré d’avocats à une réunion du conseil ou de gens fortunés dans une soirée-bénéfice. Je sais aussi que j’ai eu la partie facile : mon père pesait 39 kilos durant son emprisonnement en Allemagne, pendant la guerre; il a immigré sans argent ni diplôme; il a survécu à une chute quasi mortelle d’un balcon; il a subi deux pontages, a eu le cancer et a subi d’innombrables autres malheurs. Et pourtant, il sourit, raconte des histoires et se réjouit du succès des autres!
Mon père est un grand homme qui n’a simplement pas eu les mêmes chances que ses enfants. Ce qu’il faisait pour vivre est devenu un symbole de son éthique du travail, ainsi que de ce qu’il a dû affronter en tant que jeune immigrant et enfant de la guerre. Mon père était concierge. Et je ne pourrais en être plus fier.