À table

Autant d’hommes que de femmes seraient victimes de violence conjugale

Pierre Saint-Arnaud - La Presse Canadienne

Des données rendues publiques par Statistique Canada, cette semaine, viennent déboulonner certains mythes sur la violence conjugale.

Ainsi, contrairement à la croyance populaire, l’Enquête sociale générale de 2014 sur la victimisation nous apprend que les hommes sont tout aussi nombreux à être victimes de violence conjugale que les femmes.

Si cette donnée ne surprend pas les experts, certains sont néanmoins étonnés de voir la chute de la violence conjugale, qui a diminué de près de la moitié, et de constater le degré de violence dont sont victimes les hommes.

Selon l’Enquête, sur un peu plus de 19 millions de Canadiens qui avaient un conjoint ou un ex-conjoint en 2014, environ 4%, soit 760 000 personnes, ont déclaré avoir été victimes de violence physique ou sexuelle, ou les deux, de la part de leur partenaire au cours des cinq années précédentes. Or, cette proportion de 4% est identique chez les hommes et les femmes.

La bonne nouvelle, c’est que cette proportion est bien inférieure à celle de 7% enregistrée 10 ans plus tôt, en 2004, une chute dont l’ampleur étonne le criminologue et spécialiste des questions de violence conjugale Stéphane Guay, de l’Université de Montréal.

«Qu’il y ait une baisse, c’est normal et on s’y attend parce que c’est un problème qui a été pris au sérieux et il y a eu beaucoup d’actions qui ont été prises. Mais 3 pour cent de différence? C’est presque une diminution de 50%. Ça je ne vous aurais pas gagé un 2 $ là-dessus», a-t-il confié en entrevue avec La Presse Canadienne.

Par ailleurs, parmi les victimes de violence conjugale, les femmes demeurent deux fois plus nombreuses à avoir subi les violences les plus graves (34% contre 16% chez les hommes), soit d’avoir été agressées sexuellement, battues, étranglées ou menacées avec une arme à feu ou un couteau.

Par contre, les hommes sont trois fois et demi plus nombreux (35% contre 10%) à avoir subi des voies de fait sous la forme de coups de pied, de morsures, de coups et de coups avec un objet contondant.

Le professeur Guay précise que les données montrent depuis longtemps que les hommes sont aussi nombreux à déclarer être victimes de violence conjugale, mais la nature des violences subies par les hommes l’étonne.

«C’est la première fois que je vois un rapport de Statistique Canada qui dit que les hommes ont été plus souvent victimes de ces formes de violence grave que les femmes. Ça me surprend. Je n’aurais pas pu prédire ça», a-t-il expliqué.

Pour le grand public, la violence conjugale visant les femmes est un phénomène bien connu et les données policières laissent croire qu’elles sont surreprésentées. Cette situation s’explique en grande partie par le fait que les femmes rapportent plus souvent à la police les sévices subis, d’une part parce qu’elles sont plus nombreuses à subir les violences les plus graves, mais aussi parce que les hommes rapportent moins les violences, mêmes graves, dont ils sont victimes, pour des raisons culturelles.

«C’est la perception de leur rôle sexuel dans la société qui fait en sorte qu’ils ne déclarent pas, parce qu’ils se disent que la police va rire d’eux», a expliqué le chercheur sans détour.

Stéphane Guay note toutefois qu’il faut se méfier des raccourcis dans l’interprétation de ces données.

«Il y a une limite méthodologique quand on mesure des comportements sans évaluer le contexte. Par exemple, quand une femme porte des coups, est-ce que c’était en guise de réplique ou si c’est la femme qui a initié le geste? On ne le sait pas», fait-il valoir.

Ainsi, bien qu’il soit impossible de relier les deux statistiques obtenues par des méthodes et enquêtes distinctes, l’Enquête de Statistique Canada précise que 70% des incidents de violence conjugale ne sont pas rapportés à la police, alors que les données policières indiquent que 68 pour cent des victimes de violence familiale (qui incluent les gestes posés par n’importe quel membre de la famille à un autre membre de la famille) sont des femmes et des filles et que la moitié des cas sont des dossiers de violence conjugale.

L’Enquête comporte par ailleurs plusieurs autres données intéressantes, notamment qu’un lien très clair existe entre la rupture et la violence. Ainsi, 41% des victimes disent avoir subi de la violence d’un ex-conjoint après la fin de l’union et la moitié de celles-ci précisent que la gravité de la violence a augmenté après la rupture, une constante qui frappe de manière égale les hommes et les femmes.

De plus, les incidents de violence conjugale étaient plus souvent déclarés relativement à des unions rompues que par des personnes actuellement mariées ou vivant en union libre.

Les résultats révèlent par ailleurs qu’il pourrait y avoir un lien entre la violence durant l’enfance et la violence conjugale à l’âge adulte, alors qu’un plus grand nombre de victimes de violence conjugale ont affirmé avoir été victimes de sévices physiques ou sexuels, ou les deux, durant leur enfance (48%), comparativement aux personnes n’ayant pas déclaré de violence conjugale (32%).

Tristement et sans surprise, le taux de violence conjugale chez les Autochtones est plus du double (9 pour cent) que chez les non-Autochtones (4%).

Les provinces rapportent généralement une baisse de la violence conjugale similaire à celle de l’ensemble du Canada en termes de proportion.

C’est l’île-du-Prince-Édouard qui rapporte le plus haut taux de violence conjugale, suivie dans l’ordre de la Saskatchewan, et ex-aequo, de l’Alberta et de la Nouvelle-Écosse. Le Nouveau Brunswick vient au cinquième rang, alors que le Québec occupe la huitième place. Le taux de violence conjugale le plus faible a été enregistré à Terre-Neuve-et-Labrador.

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