Excédée par les poussières provenant de son centre de tri, la Ville de Montréal-Est a entrepris de nouvelles démarches judiciaires contre 3R Valorisation, une entreprise qui est dans la mire du ministère de l’Environnement depuis près de 10 ans.
L’entreprise 3R Valorisation récupère et valorise des résidus de construction. Sur son site extérieur, situé sur l’avenue Broadway, à Montréal-Est, Métro a pu constater la présence de piles de matériaux d’une hauteur considérable, le 12 juillet.
Pour des élus et des citoyens, cette situation a trop duré. Les amoncellements de matériaux, plus particulièrement les matières fines, seraient selon eux régulièrement emportés par le vent, et ce, depuis des années.
Tu vois la poussière tomber, c’est comme s’il neigeait!
Une citoyenne de Montréal-Est
La riveraine qui a demandé de taire son nom en a ras le bol de devoir constamment nettoyer l’extérieur de sa résidence.
Un autre citoyen à qui nous avons parlé s’inquiète de l’éventuel impact de la présence de ces matériaux sur la santé de la population.
Comme quelque 190 résidents de la Ville, ils ont signé une pétition lui demandant d’agir de concert avec le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) et le Service de l’environnement de Montréal pour mettre un terme aux désagréments causés par l’entreprise. Le document a été déposé au conseil de ville le 15 juin.
«La situation n’a plus de bon sens», reconnaît la mairesse Anne-St Laurent. Elle souligne notamment «les risques d’incendie», rappelant qu’un énorme brasier s’est récemment déclaré dans une autre industrie du secteur.
De nouvelles démarches juridiques
Le conseil de Montréal-Est a adopté en janvier dernier une résolution afin de mandater un cabinet d’avocats pour entreprendre tout recours «pour forcer l’entreprise à se conformer à la réglementation municipale», lit-on dans un extrait du procès-verbal de la séance du conseil du 19 janvier 2022.
La Ville souhaite également forcer l’entreprise à se conformer à un jugement rendu par la Cour supérieure en septembre 2019, à la suite d’un recours légal qu’elle avait entrepris.
La Cour stipule dans le jugement que «non seulement les amoncellements de bois et de plastique sont […] dangereux pour le feu, mais de la poussière et des matériaux sont régulièrement poussés par le vent sur la propriété de Suncor», située à proximité de l’entreprise.
Elle ordonne ainsi à 3R Valorisation de réduire à une hauteur maximale de trois mètres les amas de matières, tel que permis par le règlement de zonage de Montréal-Est, d’ici le 31 mars 2020.
Selon le conseiller de Montréal-Est Yan Major, l’entreprise avait fait diminuer la hauteur des amoncellements dans les mois suivant la décision du tribunal.
On avait abandonné les recours devant sa volonté de vouloir se conformer au règlement. Mais là, on voit que les tas ont monté de façon exponentielle.
Yan Major, conseiller de Montréal-Est
Métro a interpellé la Direction de l’aménagement du territoire et du développement économique de Montréal-Est sur les constats réalisés sur le site de l’entreprise dans les dernières années. Cette dernière a indiqué ne pas pouvoir commenter, puisque le dossier est judiciarisé. L’avocat de l’entreprise, Karl-Emmanuel Harrison, affirme ne pas avoir été avisé de ces nouvelles démarches judiciaires.
Une situation qui tourne en rond
Dépassée par cette situation qui «tourne en rond» et la lenteur des démarches légales, la mairesse St-Laurent explique que l’administration a convoqué le MELCC ainsi que le Service de l’environnement de Montréal à une rencontre le 2 août prochain sur le site de l’entreprise.
«On a tout fait ce qu’on pouvait faire.»
Elle souhaite maintenant «des actions concrètes qui mettront fin à la pollution».
Des manquements constatés par Montréal
Le Service de l’environnement de la Ville de Montréal, qui régit notamment le permis de rejet à l’atmosphère, dit avoir également observé des manquements.
Lors d’une visite de l’entreprise le 21 juin, le Service aurait constaté que «certaines exigences décrites au permis» n’étaient pas respectées, notamment l’arrosage des piles de matériaux qui doivent être utilisés en été pour contrôler les poussières, lit-on dans une lettre destinée à 3R Valorisation que Métro a consultée.
La Ville somme l’entreprise de respecter les exigences liées au permis et à sa règlementation d’ici le 5 août 2022. Dans le cas contraire, elle serait passible d’une poursuite en justice.
«[N]ous constatons que la Ville de Montréal demande que les piles de matériaux soient arrosées plus fréquemment afin de réduire les émissions de poussière», a simplement réagi Me Karl-Emmanuel Harrison par courriel.
L’entreprise dans la mire du ministère de l’Environnement
Ce n’est pas la première fois que l’entreprise est blâmée. Dans une ordonnance datée d’octobre 2020, le ministère de l’Environnement dresse l’historique de plusieurs manquements observés depuis 2013: amas dépassant la hauteur maximale (5 à 6 mètres) autorisée par le ministère, poussière emportée par le vent, débris qui tombent sur les propriétés voisines, piles de matières qui ne permettent pas la circulation des véhicules d’incendie.
«L’entreprise ne s’est jamais conformée à son autorisation, et ce malgré tous les moyens coercitifs utilisés par le ministère», indique par courriel Frédéric Fournier, porte-parole régional au MELCC.
Le Ministère a notamment sommé l’entreprise de limiter ses opérations jusqu’à ce que la remise en état du site respecte les conditions prévues par l’autorisation ministérielle. Cette dernière a contesté l’ordonnance en décembre 2020 au Tribunal administratif du Québec (TAQ). Le dossier est toujours judiciarisé.
Mentionnons également qu’en octobre 2020, La Presse révélait que le ministère de l’Environnement avait découvert que l’entreprise avait disposé illégalement de «dépôts sauvages de matières résiduelles» provenant du centre de tri de Montréal-Est dans Lanaudière.
L’entreprise 3R Valorisation a aussi été poursuivie par le Directeur des poursuites criminelles et reconnue coupable en juillet 2021, puis a reçu deux amendes totalisant 12500 $ pour ne pas avoir respecté les normes rattachées au certificat d’exploitation du ministère de l’Environnement. Une inspection de 2019 révélait notamment la présence de piles de matériaux s’élevant jusqu’à 20 mètres.
Manque de débouchés
La situation n’est cependant pas simple à résoudre sur le site, à en croire Me Karl-Emmanuel Harrison.
Bien qu’il reconnaisse que la situation actuelle n’est pas «acceptable», l’avocat explique que des bris mécaniques au sein de l’entreprise ont contribué à faire remonter les piles de matériaux. Celles-ci avaient pourtant baissé en 2021, affirme-t-il.
La Ville et le ministère veulent que les matières sortent, mais ce n’est pas eux qui vont prêter de l’argent [pour le faire]
Karl-Emmanuel Harrison, avocat de 3R Valorisation
L’enjeu principal entourerait cependant selon lui les matières fines, qu’il juge au centre du litige. L’entreprise n’aurait plus de débouchés pour écouler ce type de matière depuis 2017.
D’ailleurs, selon l’avocat, même si 3R Valorisation avait été contrainte de sortir ces matières du site, elle aurait échoué à trouver un lieu autorisé pour en disposer. Au moment de l’entrevue, l’entreprise venait cependant d’identifier deux sites autorisés pouvant recevoir ces matières. «Ça fait partie des négociations avec le ministère», ajoute-t-il.
Le Tribunal a d’ailleurs reconnu dans le jugement de juillet 2021 «que la situation des résidus fins est un problème indéniable que tous s’entendent pour qualifier de crise environnementale dont le ministère est lui-même bien conscient».
Le Tribunal évoque une crise ayant débuté vers 2015-2016 et s’étant accentuée en Amérique du Nord, sans blanchir l’entreprise de son devoir de se conformer à son certificat d’autorisation.
Pour sa part, la mairesse Anne St-Laurent mise sur la rencontre du 2 août pour qu’une solution rapide soit trouvée.
«Il faut des gestes concrets et rapides qui vont mettre fin à cette situation une fois pour toutes.»
Plaintes environnementales
Les citoyens ayant des plaintes concernant la qualité de l’air ou de l’eau sont invités à contacter le Service de l’environnement de Montréal au 514 280-4330.
NDLR: Une première version de ce texte ne contenait pas la mention des deux sites autorisés identifiés par l’entreprise pour potentiellement recevoir les matières fines.