Vers 10h ce matin, devant le complexe Guy Favreau, sur le boulevard René-Lévesque, Mamadou Kanoté accueillait avec le sourire chaque arrivant venu lui apporter du soutien, malgré son destin incertain. Une vigile d’urgence a été organisée devant l’immeuble abritant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, car l’homme originaire de la Côte-d’Ivoire a reçu un énième ordre d’expulsion fixé au 30 septembre.
Si le nom «Mamadou Konaté» vous sonne une cloche, c’est que son histoire a été partagée à la grandeur du Québec durant la première vague de la pandémie. Il s’agit de ce travailleur essentiel maintes fois détenu au Centre de surveillance de l’immigration (CSI) de Laval et menacé d’expulsion, faute d’avoir été en mesure de régulariser sa situation d’immigration durant son séjour au Canada.
La précarité de son statut d’immigration reposerait sur le fait que l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés empêche Mamadou Konaté de déposer une demande d’asile.
Cette disposition législative prévoit l’interdiction de territoire pour raison de sécurité à une personne qui aurait été impliquée de près ou de loin dans des «actes visant au renversement d’un gouvernement par la force», accusation réfutée par Mamadou Konaté.
À ce propos, son avocat, Me Guillaume Cliche-Rivard, a déclaré, en entrevue avec Métro le 22 septembre, avoir déposé une demande d’exemption ministérielle pour qu’on accorde à son client le droit de rester, car «il ne constitue pas un risque pour le Canada». M. Konaté aurait été recruté de force par un groupe rebelle opposé au gouvernement et n’aurait été affecté qu’à des tâches ménagères.
Là où le bât blesse, c’est qu’une telle demande prendrait «six à sept ans avant d’être traitée».
«Il l’a déposée il y a un an et demi. Il reste encore 4 ans et demi ou 5 ans», précise Me Cliche-Rivard.
Ne bénéficiant que de quelques jours avant la date fatidique de son expulsion du pays, M. Konaté aurait donc demandé sans succès aux services frontaliers de reporter la date de sa déportation.
«Maintenant, il me reste à m’adresser à la Cour fédérale contre cette décision de ne pas reporter [la date d’expulsion], a poursuivi l’avocat. Le juge a le pouvoir de dire: ‟Oui, on met la déportation sur pause, on va au bout de cette affaire et on lui permet de rester ici”, ou bien ‟Non, il doit partir”. Si la décision est non, on ira contester au [Comité des droits de l’homme des] Nations Unies. On est prêt à le faire.»
Les risques de retour
«Les risques de retour de Mamadou en Côte d’Ivoire n’ont pas été évalués par le gouvernement canadien depuis 2018, a soutenu son avocat. Ça fait quatre ans qu’on ne s’est pas questionné à savoir si la situation sécuritaire et politique en Côte-d’Ivoire permettait son renvoi. Il s’est passé beaucoup de choses dans les dernières années. La situation sécuritaire s’est vraiment aggravée, il y a de la répression politique comme jamais avec la déstabilisation du gouvernement actuel. Il y a beaucoup de tensions.»
«La personne qui le recherche et qui lui veut du mal est aujourd’hui lieutenant-général de l’armée en Côte-d’Ivoire, a ajouté Me Cliche-Rivard. On n’a pas non plus évalué ses capacités de s’en prendre à Mamadou non plus.»
Un rapport signé par le directeur général d’Amnistie internationale en Côte-d’Ivoire conclurait que la perspective de renvoi de M. Konaté entraînerait de graves conséquences sur sa sécurité et son intégrité.
«Quand Mamadou Konaté va débarquer de l’avion, il va être arrêté, détenu, interrogé, et peut-être torturé», a résumé Me Cliche-Rivard.
«Tout ce qu’un homme doit faire, je l’ai fait»
«Je n’ai jamais commis de crime, a quant à lui soutenu le principal intéressé. J’ai contribué comme tout le monde. Qu’est-ce que j’ai fait? J’ai un permis de travail. Je travaille à l’Université de Concordia, j’ai un emploi stable. Quel est le problème?», a-t-il insisté, s’adressant aux gens présents au rassemblement.
Il a par la suite fait appel au peuple québécois, dans une dernière tentative d’obtenir de l’aide, «au nom de la démocratie». «J’ai eu le chance de côtoyer le peuple québécois. Je sais quel genre de peuple il est. Il est accueillant, charmant, gentil, respectueux.»
Une représentante de Solidarité sans frontières, Ze Bénédicte Carole, a demandé aux gens présents de penser à «toutes ces [personnes] sans statut qui se sont sacrifiées pendant la pandémie, qui ont tant donné pour que le Canada se tienne debout».
«Ils sont prêts à se sacrifier, non comme des esclaves, mais comme des êtres humains, comme vous et moi. Au Canada, nous chantons chaque jour la liberté pour tous, mais il y a encore des hommes qui ne sont pas encore considérés comme des humains, a-t-elle déploré. On nous utilise juste comme des objets pour travailler. Après, quand nous avons rendu service comme Mamadou, on nous renvoie dans notre pays parce qu’on se rend compte qu’on a plus besoin de nous.»