CHRONIQUE – Mathieu Bock-Côté affirmait, en septembre dernier, que «l’extrême droite est une catégorie fantomatique. C’est une étiquette qu’on colle sur quelqu’un pour lui jeter des tombereaux de haine autorisée».
Si l’étiquette semble d’apparence parfois galvaudée – on en dira (au moins) autant de l’obsession woke – reste que les faits, comme disait Lénine, sont têtus.
À vrai dire, et comme l’explicitait récemment Le Monde: «Sur l’échiquier politique, Mathieu Bock-Côté est un ultraconservateur nationaliste qui n’a de cesse de vouloir repousser les marges de la droite vers l’extrême droite.»
Voilà, en fait, le véritable péril: la banalisation du mal, voire son invisibilisation.
Celle qui assure la désintégration, fil par fil, du tissu social.
Celle qui met au pouvoir ou en situation d’influence les Bolsonaro, Orban, Trump et autres apôtres de l’alt-right promotrice de la théorie, fallacieuse, du «grand remplacement».
Quid la France, où prospère présentement le Québécois?
D’abord, le souhait du candidat présidentiel Zemmour d’interdire toute forme de prénom «étranger»?
Ensuite, celui de créer un ministère de la Rémigration?
Enfin, celui de déporter – oui, DÉPORTER – 2,5 millions de bonnes gens du territoire français?
Quant à Le Pen et ses 41% d’appuis, dé-diabolisée depuis sa néo-propension aux photos de chats et autres esbroufes, son programme fait foi:
- Mettre fin à l’immigration de peuplement et au regroupement familial;
- Arrêter l’immigration incontrôlée en donnant la parole aux Français par référendum;
- Réserver les aides sociales aux Français, et conditionner à 5 années de travail en France l’accès aux prestations de solidarité;
- Assurer la priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi;
- Supprimer l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France;
- Supprimer le droit du sol et limiter l’accès à la nationalité à la seule naturalisation sur des critères de mérite et d’assimilation.
Subtil comme tout. En bref, on refuse travail, logement ou prestations de solidarité aux arrivants, histoire de leur reprocher, ipso facto:
– Quoi? T’as pas déjà trouvé de boulot? De niche?
– C’est que…
– Bon vent, mec.
Mention déshonorante, aussi, à l’idée d’assujettir l’octroi d’une incertaine citoyenneté à des critères… d’assimilation et mérite. Et qui, question sincère, déterminera desdits critères? Le Pen elle-même? Papa Jean-Marie, collectionnant jadis les condamnations pour crimes haineux, à l’instar de Zemmour? Dieudonné? L’arbitraire pur, ainsi donc, en lieu et place de la naturalisation par le sol. Des airs d’une chanson, insupportable, connue.
Toujours dans le programme de Le Pen, autre perle: l’interdiction d’idéologies «incompatibles avec la République». Idéologies au pluriel, donc, mais strictement en théorie. Parce qu’une seule – on vous laisse deviner laquelle – est en fait précisée. Seront ainsi «interdits, dans l’espace public, les signes ou tenues constituant par eux-mêmes une affirmation sans équivoque et ostentatoire des idéologies visées».
Ô subtil.
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Dans son spectaculaire ouvrage Reconnaître le fascisme, Umberto Eco souligne quelques archétypes de cette même gangrène, cette fois à la sauce contemporaine:
- Le culte de la tradition;
- Le rejet du modernisme;
- Le rejet de la pensée critique;
- Le rejet de la diversité;
- L’exploitation de la frustration;
- L’obsession du complot;
- Le contrôle des femmes et des LBGTQ+;
- Le peuple comme entité exprimant la «volonté commune».
Un fantôme, l’extrême droite? Absolument. À nos portes, à vrai dire.