CHRONIQUE – La formule est éculée, mais demeure juste: le 11 septembre 2001 métamorphose l’entièreté de notre rapport et conception du monde. Au moins deux victimes en paient directement le prix.
D’abord le paradigme des droits fondamentaux – alors en pleine ascension – qui se bute au mur d’une néo-paranoïa instrumentalisée par le politique.
Ensuite, l’ensemble de la communauté musulmane occidentale devenue, bien malgré elle, ennemie publique numéro un. On pensera, comme contrecoup immédiat, à la loi française de 2004.
En sol québécois surgit au même moment la «crise» des accommodements raisonnables – tricotée de toutes pièces par certains médias – jetant en pâture l’étrange, le musulman au premier chef. Le sentiment xénophobe artificiellement galvanisé, le politique tente maintenant, bien entendu, d’en tirer profit. C’est alors qu’a lieu le délétère débat sur la Charte des valeurs, portant exclusivement sur la question musulmane.
Faussement catastrophé, le ministre Drainville s’époumone sur le principe de l’égalité homme-femme en assénant – tout au long de sa campagne de peur – que «le Québec a un malaise, avec le voile».
À qui pose la question, le ministre et l’ensemble du gouvernement péquiste sont virulents: «Nous visons TOUTES les religions, incluant la catholique!»
Pourtant, aucune allusion à quelconque autre religion ne vient équilibrer le discours, l’interdiction législative visant uniquement les «signes religieux ostentatoires». Vous en connaissez beaucoup, vous, des cathos qui s’affichent avec une croix format 2 x 4 dans le cou?
Truc amusant, d’ailleurs, encore applicable aujourd’hui: dans un échange avec un pro-laïcité, accusez-le de casser du sucre sur le dos des musulmanes, chose qu’il niera jusqu’au bout de son sang. Or, trois courtes minutes suffiront – selon mon calcul scientifique – avant qu’il ne balance une… épithète islamophobe. Très rarement antisémite. Jamais anti-sikh. Jamais anti-Jéhovah. Mais toujours, systématiquement, islamophobe.
Vous souhaitez vous amuser encore un brin? Faites alors remarquer à votre interlocuteur les écoles religieuses, malgré la prétendue laïcité de l’État, subventionnées à fond la caisse. À hurler de plaisir.
Un dernier jeu, assez rigolo merci. Qui, à votre avis, accusait en 2013 le PQ de casser du sucre sur le dos de la minorité musulmane? Un morceau de robot à quiconque ayant répondu… François Legault.
Or, l’attrait du pouvoir étant ce qu’il est, le chef caquiste ne put s’empêcher de capitaliser, à son tour, sur l’ostracisme. La seule mention d’un sondage du temps de l’adoption de la loi 21 suffit pour s’en convaincre: une portion inquiétante, près du tiers, se montre rébarbative à l’immigration musulmane. Rien à voir, cela dit, avec les atrocités d’ailleurs, notamment celles d’un Trump promettant, en pleine campagne présidentielle, de ficher ces mêmes musulmans à l’aide d’un brassard, style 1934.
Une fois la loi adoptée, le premier ministre Legault justifie celle-ci auprès de Patrice Roy, de la manière suivante:
«Pour éviter les extrêmes, il faut en donner un peu à la majorité. […] Je pense que c’est la meilleure façon d’éviter les dérapages. On délimite le terrain, parce qu’il y a des gens un peu racistes qui souhaiteraient qu’il n’y ait pas de signes religieux nulle part, même pas sur la place publique.»
De quelle confession est-il ici question, à votre sens?
***
Le débat de la semaine dernière sur les locaux de prière aura propulsé le Québec vers son passé – celui du film décrit ci-haut, mauvais en tout genre: méfiant, populiste, semi-complotiste.
Me souviens notamment des débats à Bazzo, où les Djemila Benhabib de ce monde nous prévenaient de «la menace islamiste», assénant ses ennemis du gentil vocable «d’idiots utiles» et annonçant, à la sauce Houellebecq, la fin de l’Occident moderne. On attend toujours.
Back to the future, donc. Même Patrick Lagacé, d’ordinaire juste et tempéré, se laisse prendre au piège: «Il se passe quelque chose», écrit-il, péremptoire. Or, s’il se passe effectivement «quelque chose», ceci n’a rien de bien outrancier ou iconoclaste. On appelle cela le ramadan, tout simplement. Pas de quoi s’alarmer.
Jamais à court de candeur divine, François Legault profite de l’occasion afin de faire l’apologie du catholicisme, partageant au passage une chronique de Bock-Côté bourrée d’une pléiade de raccourcis ou demi-vérités: du fait de son fond catho, la nation québécoise serait davantage solidaire qu’ailleurs. Eh ben. On savait déjà MBC ventriloque du PM, mais avouons que celle-ci est forte en eau bénite.
Parce que quid des orphelins de Duplessis?
Les pensionnats autochtones?
Les femmes et l’interdiction du droit de vote?
Les femmes et l’interdiction de l’avortement?
Les femmes et l’obligation d’enfanter à qui mieux mieux?
La communauté LBGTQ+?
Les scandales de pédophilie?
Le refus de prospérité et le retour à la terre?
Les livres à l’index?
Imaginons, pour le plaisir, que ces belles réalisations étaient de responsabilité musulmane…
Cela dit, qu’on veuille tenir la prière loin des écoles, j’en suis. Mais entre la posture publique d’un premier ministre et celle d’une poignée de morveux d’une école lavalloise, disons que la force de l’impact, nonobstant l’ironie, est assez asymétrique merci.