CHRONIQUE – Je n’ai pas l’habitude de lire les commentaires, et quand je le fais, je n’ai pas l’habitude de leur accorder de l’importance. Tout le monde a droit à son opinion et je comprends de mieux en mieux comment la diversité de nos expériences façonne notre appréhension du monde. Mais j’étais curieuse de découvrir comment vous réagiriez à ma dernière chronique, celle qui proposait d’abolir les feux d’artifice.
C’est une position audacieuse, j’en conviens, mais dans ma belle naïveté, je croyais vraiment qu’il y aurait davantage consensus à l’idée de mettre un terme à cette source de pollution totalement inutile. Si j’en crois vos commentaires, vous n’êtes pas d’accord. Vous tenez majoritairement à ces décharges de strontium, cuivre et autres perchlorates dans l’atmosphère. Correct. J’ai exposé les faits, vous avez pris position, et malgré les nombreux inconvénients cités, vous semblez vouloir maintenir les feux d’artifice, quitte à en subir les conséquences collectivement.
J’aimerais toutefois souligner l’invalidité d’une sorte d’argument qui revenait assez souvent, et qui allait, en substance, comme suit : Si elle n’aime pas les feux d’artifice, elle n’a qu’à ne pas les regarder. Non seulement l’argument ne répond pas à la préoccupation mentionnée dans ma chronique (les feux d’artifice sont une source de pollution), il prétend trouver une solution à un problème (je n’aimerais pas les feux) qui est absent de mon argumentaire. Je ne déteste pas les feux. Je trouve ça correct beau, voire vaguement impressionnant, mais là n’est pas la question. Que je les regarde ou non, ces feux constituent une nuisance pour la santé des gens de ma communauté, pour celle des animaux, pour la qualité de l’air et celle des cours d’eau. C’est une source de réjouissance pour certains qui a un impact sur plusieurs.
Si je m’attarde à ce type de commentaire, c’est qu’il illustre assez magistralement le problème de notre siècle : la lutte aux changements climatiques, c’est un travail d’équipe! Vous avez beau utiliser des pailles en carton, composter et rincer vos contenants réutilisables, y a des millions de personnes derrière qui ralentissent le groupe dans ses efforts collectifs. Mais contrairement à un travail d’équipe à l’université où le plus paresseux du groupe finit tout de même par obtenir la note de la crinquée perfectionniste, ici, c’est le contraire. Les efforts des plus écoanxieux d’entre nous ne réussiront pas à contrer suffisamment le comportement des plus insouciants pour faire baisser le mercure général de la Terre. Je n’ai pas de solution à offrir. Ce n’est qu’un constat. Le confort individuel supplantera toujours les impératifs collectifs.
Le commentaire m’interpelle pour une autre raison. Il m’invite à «ne pas regarder» les feux d’artifice. Je trouve qu’il y a là aussi une métaphore intéressante. Ça m’a fait penser à Don’t look up, ce film dans lequel une comète s’apprête à anéantir le monde, alors que les gens continuent leur vie en faisant du déni sur la fatalité qui les attend. Il s’agit d’une allégorie sur les changements climatiques qui illustre parfaitement notre attitude dans un contexte où nous nous sentons profondément impuissants face au sort de la planète. Je pourrais, en effet, détourner le regard, faire comme si ces feux n’existaient pas car je n’ai pas de pouvoir individuel face à cette décision collective. J’ai préféré proposer une alternative, mais apparemment, vous aimez trop ça respirer du mauvais air.