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Cheap labor

CHRONIQUE – Dans l’écosystème médiatique, les pigistes sont la main-d’œuvre la plus vulnérable et, par le fait même, exploitable. On en a eu un aperçu la semaine dernière quand plusieurs d’entre eux ont révélé avoir attendu parfois plus de six mois avant d’être payés par la revue Nouveau Projet. Le rédacteur en chef de la revue s’est défendu en prétextant un problème de liquidités et en se félicitant de bien payer ses collaborateurs. 

C’est vrai, les tarifs qu’offre Nouveau Projet se situent à l’échelon supérieur des publications québécoises. Reste qu’on imagine mal la revue payer ses frais fixes avec six mois de retard. Quand une entreprise ne paie pas son loyer, son Hydro, son internet, elle est coupée, tout simplement. Les conséquences de payer ses pigistes en retard sont beaucoup moins graves. Si Nouveau Projet paie avec autant de retard ses pigistes, c’est qu’elle peut le faire. Les pigistes n’ont aucun pouvoir contre une publication qui paie mal. Au pire, ils cessent d’y collaborer s’ils ont d’autres options. 

Mais les options sont de moins en moins intéressantes pour quiconque rêve de vivre de sa plume. On le répète depuis que je fais ce métier: les tarifs au feuillet n’ont, pour la plupart, pas bougé depuis les 50 dernières années! Le Devoir continue de payer ses pigistes 50 $ du feuillet, comme il y a 50 ans! Certaines publications continuent de payer «en visibilité». Grâce à ses revendications, l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) a réussi à aller chercher 125 $ du feuillet pour les pigistes à La Presse, mais ça, c’était il y a déjà plus de 10 ans! Pendant que vos revenus de salariés suivent l’inflation et que le prix d’un condo dans Villeray est passé de 99 000 $ à 499 000 $, les pigistes, eux, continuent de cumuler de peine et de misère des revenus de 25 000 $ à 30 000 $, soit les mêmes que dans les années 1990. 

Mais il y a plus gênant encore que des entreprises de presse – elles-mêmes vulnérables, disons-le – qui paient mal leurs pigistes. Il y a la société d’État. Radio-Canada continue de payer ses collaborateurs entre 125 $ et 250 $ pour des chroniques à la radio. Le «sommet» des tarifs est réservé aux chroniques qui exigent le plus de préparation. La lecture d’un livre, par exemple. Ajoutez les temps de déplacement et il n’y a rien de rentable à collaborer avec le diffuseur public. 

Malheureusement, rien de ça ne risque de s’améliorer. L’AJIQ est limitée dans ses options : bien qu’ils souhaitent que les tarifs augmentent, ses membres continuent d’accepter, faute de mieux, les conditions qu’on leur propose. Allez interdire à une jeune pigiste de se faire les dents sur un texte des cahiers publicitaires du Devoir. Les syndicats – sauf quelques timides appuis de la FNC – ne font rien pour aider, voyant en ces travailleurs vulnérables de la concurrence bon marché. 

Les délais de paiement de Nouveau Projet placent les pigistes dans une situation de stress qui s’ajoute à leur précarité générale. J’ai confiance que l’électrochoc suscité par les dénonciations de plusieurs de ses collaborateurs fera bouger les choses. Mais il ne faudrait pas jeter le blâme uniquement sur Nouveau Projet. Les médias écrits sont sous-financés et méritent un meilleur soutien des gouvernements. La culture qui nous unit, c’est aussi la presse papier. En ce qui concerne Radio-Canada, elle a peu d’excuses pour justifier des tarifs aussi bas et surtout, aussi semblables à ceux d’il y a 30 ans. Contentons-nous de répéter sur toutes les tribunes – puisque c’est le seul pouvoir dont nous disposons – à quel point c’est gênant qu’une société d’État dotée d’un budget de 1,3 G$ paie ses collaborateurs aussi mal. 

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