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Les montres intelligentes sont une plus grande distraction pour les conducteurs que les téléphones

Pierre-Majorique Léger et Sylvain Senecal - La Conversation

Denis Coderre en est un bon exemple: difficile d’être totalement à l’abri des distractions au volant. Des alertes de toutes sortes émergent sur nos appareils, faisant en sorte que l’envoi de messages textes n’est plus la seule cause de ces absences momentanées d’attention.

On estime que 73,4 millions de personnes utiliseront des technologies prêt-à-porter aux États-Unis d’ici 2022. Les technologies prêt-à-porter font référence aux accessoires connectés et intelligents qui peuvent être portés sur différentes parties du corps. La technologie vestimentaire la plus populaire est la montre intelligente.

Une caractéristique importante de cette technologie prêt-à-porter est qu’elle est facile à acquérir et peut donc être utilisée presque partout. Cette commodité et cette adaptabilité signifient que les montres intelligentes sont utilisées dans diverses circonstances, y compris au volant d’une voiture.

Or, la sécurité lors de l’utilisation d’une montre intelligente est un problème pour les utilisateurs et ceux qui les entourent.

Un Américain sur six possède une montre intelligente qu’il utilise au moins une fois par mois. Selon l’International Data Corporation, une société de marketing et de recherche technologique, les montres intelligentes représenteront 70,2 % de toutes les technologies prêt-à-porter d’ici 2022.

La distraction au volant

Une des principales conséquences de la distraction des conducteurs est le temps de réaction diminué. Elle contribue à une grande partie des accidents de la circulation. Des recherches récentes ont révélé que lorsque les conducteurs ont des conversations sur leurs appareils — qu’ils soient tenus en main ou en mode mains libres — le temps de réaction est moins rapide et la capacité des conducteurs à évaluer et à réagir à un problème diminue. En bref, il est dangereux d’utiliser un appareil intelligent en conduisant.

Transports Canada réfère à cette situation comme de la distraction au volant : « La distraction au volant se produit lorsque l’attention du conducteur est détournée de la conduite parce qu’il est concentré sur autre chose. »

Lorsqu’un conducteur est distrait, ses performances ainsi que sa perception des conditions routières ne sont pas optimales. Les conducteurs distraits sont plus lents à prendre conscience des problèmes de sécurité et à comprendre comment résoudre le problème. Dans bien des cas, lors d’une situation dangereuse, ils ne peuvent pas physiquement réagir aussi rapidement.

La capacité d’un conducteur distrait à conduire un véhicule en toute sécurité est ainsi diminuée. Il se peut qu’un conducteur ne soit même pas conscient d’un problème, voire d’avoir été distrait. Dans cette situation, il ne parvient donc pas à réagir assez adéquatement et rapidement à toutes les éventualités.

Les distractions au volant ne se limitent pas aux problèmes à l’extérieur d’un véhicule. Transports Canada souligne qu’une distraction peut prendre la forme de messages texte, parler au téléphone ou aux passagers, manger ou boire ou utiliser un système de divertissement ou de navigation. Utiliser un appareil électronique mains libres est quatre fois plus distrayant pour le conducteur que de parler à un passager.

Les lois ne sont pas toujours claires

Au Canada, la distraction au volant est à l’origine de 21 % des accidents mortels et de 27 % des accidents entraînant des blessures graves. Aux États-Unis, uniquement en 2017, 3 166 personnes ont été tuées sur les routes en raison de la distraction au volant. Plus de 90 % des accidents de la route sont dus à une erreur humaine — ces accidents peuvent être évités.

La plupart des États américains ont des lois qui interdisent la distraction au volant : la majorité des États interdisent à un conducteur de parler sur un téléphone mobile ou d’envoyer des messages texte au volant. Les montres intelligentes ne font souvent pas partie de cette restriction. Au Québec, le code de la sécurité routière est beaucoup plus clair : « Il est strictement interdit d’utiliser un appareil électronique portatif en conduisant. Le simple fait de le tenir en main ou de toute autre façon quand on conduit est interdit ».

Pour modifier les lois afin que l’utilisation des montres intelligentes soit interdite ou restreinte, et dans l’objectif de changer les habitudes des conducteurs, la recherche doit montrer de quelle manière ces technologies distraient les utilisateurs.

Des résultats probants

Notre équipe de recherche du Tech3lab de HEC Montréal, un laboratoire spécialisé dans l’étude des interactions entre les personnes et les technologies, s’est penchée sur les caractéristiques particulières des montres intelligentes en matière de distraction au volant.

Nous avons comparé les montres intelligentes aux téléphones mobiles et examiné les effets de l’envoi de messages texte ou vocaux sur les réactions et la concentration des conducteurs. Nos résultats ont été publiés dans la revue scientifique Accident, Analysis & Prevention.

Nous avons mis en place une expérience dans un simulateur de conduite qui mesurait les réponses du conducteur à différents types d’alertes d’une montre intelligente et d’un téléphone mobile. Ces distractions, y compris l’assistance vocale pour les conducteurs, ont été comparées en fonction du comportement de conduite des participants.

Notre étude a placé 31 conducteurs dans l’une des quatre situations de conduite simulées possibles. Dans trois des quatre situations, les conducteurs ont reçu des alertes sur un téléphone mobile, une montre intelligente ou par haut-parleur. Les conducteurs devaient répondre vocalement à ces alertes. La quatrième situation était légèrement différente : les conducteurs recevaient des textes écrits par téléphone mobile ou montre intelligente et devaient répondre en utilisant leur téléphone pour envoyer une réponse.

Un simulateur de conduite a été utilisé pour mesurer la réaction des conducteurs aux distractions.
(David Brieugne), Author provided

La montre intelligente génère le plus de distraction au volant

Notre étude offre un aperçu des niveaux de distraction ressentis par les comportements spécifiques des conducteurs lorsqu’ils conduisent et utilisent leurs montres intelligentes. Nous avons constaté que les montres intelligentes génèrent plus de distraction pour les conducteurs que les téléphones mobiles, tandis que les assistants vocaux étaient moins distrayants. Le regard des conducteurs était moins concentré sur leur conduite lorsqu’ils recevaient des alertes écrites sur leurs montres intelligentes que sur leur téléphone mobile.

Nous avons également constaté que le regard des conducteurs était moins concentré sur leur conduite lorsque des alertes écrites leur étaient envoyées sur un téléphone mobile que lorsqu’ils entendaient l’alerte via un haut-parleur. De plus, les conducteurs étaient plus distraits par les alertes écrites que par les alertes vocales.

Dans l’ensemble, les montres intelligentes ont un effet négatif sur la capacité d’une personne à conduire en toute sécurité. Nous avons également constaté que le moyen le plus sûr d’envoyer et de recevoir des alertes était la voix.

Ces résultats sont importants pour le public et pour les décideurs. Certaines juridictions considèrent l’utilisation d’une montre intelligente au volant comme une distraction au volant, ce qui est illégal dans la plupart des États américains et provinces canadiennes. Mais il apparait que dans bien des cas, les policiers peuvent utiliser leur discrétion pour interpréter le code de la sécurité routière. Il faut plus de précision sur la façon dont la distraction au volant est définie par la loi, en d’autres termes, qu’elle s’applique aux montres intelligentes et à leur utilisation par les conducteurs.

Nous pensons que des vies peuvent être sauvées en informant le public sur les risques liés à l’utilisation d’une montre intelligente au volant. Les messages de sécurité peuvent être soulignés par l’éducation dans les écoles, les médias sociaux, les médias traditionnels, le marketing, les alertes de sécurité et l’application de la loi.

Pierre-Majorique Léger, NSERC-Prompt Industrial Research Chair in User Experience and Full Professor of IT, HEC Montréal et Sylvain Senecal, Professor of Marketing and RBC Financial Group Chair of E-Commerce, HEC Montréal

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

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