En offrant des programmes de financement «hyper contraignants et mal adaptés», Québec et Ottawa nuisent plus qu’ils n’aident les organismes communautaires œuvrant auprès de la clientèle LGBTQ+, selon une nouvelle étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
Dans une étude intitulée Portrait du financement des groupes LGBTQ+ au Québec, l’IRIS évalue les différents programmes gouvernementaux disponibles et analyse, par le biais d’une enquête, la situation de près de 20% de ces groupes.
Cette enquête révèle que les organismes ont accès à des sommes bien plus importantes qu’auparavant. Mais les nouveaux programmes de financement s’avèrent souvent incohérents, inadaptés et inadéquats.
La directrice générale du Conseil québécois LGBT, Ariane Marchand-Labelle, souligne que l’étude de l’IRIS confirme ce que les organismes répètent depuis des années, c’est-à-dire que le sous-financement à la mission les garde dans un «état perpétuel de précarité». «Le financement à la mission nous permet d’avoir de la stabilité et de baser nos activités sur les besoins qu’on voit sur le terrain et non pas sur les priorités des bailleurs de fonds», explique-t-elle.
Du sous-financement au «malfinancement»
Après un sous-financement marqué dans les années 1990 et 2000, les organismes communautaires LGBTQ+ ont maintenant principalement accès à deux programmes. Il s’agit du Fonds de développement des capacités communautaires LGBTQ2 au fédéral et le Programme de lutte contre l’homophobie et la transphobie au provincial.
Ils offrent principalement du financement par projets plutôt qu’à la mission. Une sorte de financement qui, malgré sa taille, ne soutient pas adéquatement les groupes communautaires. Selon le chercheur à l’IRIS et coauteur de l’étude Maxim Fortin, les contraintes qu’impose le financement par projets nuisent à l’action des groupes et à leur autonomie.
Le type d’activités finançables et le temps alloué pour mener les projets à terme comptent parmi ses principaux problèmes. En effet, Ariane Marchand-Labelle mentionne que la durée des projets se mesure en mois. Le roulement des employés et leur formation compliquent la gestion et l’offre de services, explique-t-elle. «On peut inventer un nouveau service génial qui répond aux besoins, mais si après six mois on n’a plus l’argent pour le financer, à quoi bon?»
Les gouvernements veulent aider les communautés marginalisées, mais offrent des programmes hyper contraignants et mal adaptés. Le problème, c’est qu’on passe d’un sous-financement à un malfinancement des groupes communautaires LGBTQ+.
Maxim Fortin, chercheur à l’IRIS.
Même son de cloche du côté de la directrice générale de la Coalition des familles LGBT+, Mona Greenbaum. Elle explique que les subventions reçues pour des projets ponctuels ont pu permettre le développement de formations et de programmes pour les professionnels qui travaillent avec les jeunes et les familles LGBTQ2+. «Ces formations sont devenues incroyablement populaires et nous formons actuellement plus de 5000 personnes chaque année sur les enjeux LGBTQ2+. Cependant, pour payer notre équipe de formation, l’argent n’est plus là», déplore-t-elle.
Le financement à la mission pose aussi des problèmes
À la différence du financement par projet, la méthode de financement par mission permet de poser et de stabiliser les bases financières des organismes. Elle est toutefois loin de combler leurs besoins, et les groupes doivent se tourner vers le financement par projets.
Bien que 14 des 17 groupes participant à l’enquête aient accès à un financement à la mission accordé par le gouvernement du Québec, 11 d’entre eux ont recours à du financement par projets pour boucler l’année. «Alors que le financement par projets est synonyme de précarité, le financement à la mission amène quant à lui la pérennité», note tout de même la coautrice de l’étude, Wissam Mansour.
Selon Ariane Marchand-Labelle, il est très difficile pour une organisation plus récente d’obtenir un premier financement à la mission. «Ça peut être très long», dit-elle.
En effet, l’enquête de l’IRIS révèle également que les programmes ont tendance à octroyer des financements aux organisations LGBTQ+ déjà bien établies. Cela semble contradictoire avec le mouvement communautaire LGBTQ+, qui est plus récent, «mais qui doit être financé adéquatement pour se solidifier», rappelle Maxim Fortin.
Le chercheur compare les financements offerts à la construction d’une maison. «On offre un montant pour l’équivalent de la peinture alors que pour de nombreux groupes communautaires LGBTQ+, il n’y a même pas encore de plancher.»
Les enjeux LGBTQ2+ ont l’air un peu à la mode dans l’espace public. Sauf que cette mode ne se traduit pas par un financement adéquat pour des services à nos populations…
Ariane Marchand-Labelle, directrice générale du Conseil québécois LGBT
Personnel en détresse
Par ailleurs, l’enquête menée par l’IRIS fait ressortir de façon flagrante la détresse vécue par le personnel de plusieurs groupes communautaires LGBTQ+. Plusieurs personnes font face à l’épuisement professionnel alors que d’autres mentionnent leur intention de quitter leur poste. «Ironiquement, le soutien gouvernemental peut devenir une forme de nuisance», analyse Wissam Mansour.
En effet, Ariane Marchand-Labelle mentionne que les petites équipes sont débordées et épuisées, une situation qui s’est aggravée avec la pandémie et l’augmentation de 30% des demandes d’aide en santé mentale. «On était déjà en mode survie avant ça. Là, on se retrouve avec des employés qui ont dû absorber tout ça, répondre à la demande, s’adapter perpétuellement… et, en plus, on n’est pas capables de leur offrir des bons salaires et on n’est souvent pas capables de leur offrir une permanence ou des assurances collectives», affirme-t-elle.
Mona Greenbaum souligne aussi que le manque de financement génère énormément de stress au sein de son équipe à la Coalition des familles LGBT+. «Chaque année, des programmes risquent d’être abandonnés et des emplois risquent d’être perdus», soutient-elle.