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La difficile genèse de l'histoire officielle du CEC

John Ward - La Presse Canadienne

La grande majorité des nations combattantes de la Première Guerre mondiale ont publié des versions très exhaustives des opérations qu’elles ont menées pendant ce sanglant conflit.

L’histoire officielle de la France — «Les Armées françaises dans la Grande Guerre» — compte pas moins de 106 volumes. Le «History of the Great War» britannique s’étend sur 40 volumes. Même les Australiens ont rédigé 12 tomes de leur «Official History of Australia in the War of 1914-1918».

Le Canada ?

Un seul.

Oups!

La mission de rédiger l’histoire officielle du Corps expéditionnaire canadien avait été confiée à un officier de l’état-major d’origine écossaise à l’étrange patronyme, Archer Fortescue Duguid.

Duguid est né dans l’Aberdeenshire en 1887 avant d’immigrer au Canada en 1906. Après avoir étudié en génie civil à l’Université McGill, il est devenu lieutenant d’artillerie au début de la Grande Guerre. Il a été décoré du Distinguished Service Order avant de devenir un officier de l’état-major.

En 1921, à l’âge de 34 ans, il a été promu colonel. Il fut alors nommé directeur de la section historique de l’armée. Il a amorcé la tâche redoutable de classer l’énorme quantité de documents militaires accumulés pendant la guerre. En 1929, son personnel et lui avaient classé et indexé 135 tonnes de matériel. Duguid avait prévu de publier huit volumes mais il n’a jamais atteint cet objectif.

Un premier volume est sorti en 1938, narrant la première année du conflit. Puis, un recueil de documents a vu le jour. Et ensuite, plus rien.

Selon Tim Cook, un historien du Musée canadien de la guerre, auteur de plusieurs bouquins sur la Première Guerre mondiale dont «Clio’s Warrior», portant sur l’historiographie des guerres mondiales au Canada, la maigre production de Duguid «était assurément une cause d’embarras pour le gouvernement et une source de consternation pour les vétérans.»

L’historien Mark Humphries, de l’Université Wilfrid-Laurier, en Ontario, juge que l’unique bouquin de Duguid est un bon livre d’histoire. «C’est complet, c’est détaillé. Si on veut savoir ce qui s’est passé au printemps de 1915, c’est une bonne place par où commencer.»

Le hic, juge Mark Humphries, est que l’auteur a tiré dans trop de directions. «Les recherches minutieuses menées par Duguid, le degré de détails et les analyses qu’elles nécessitaient ont créé de gros problèmes».

Premier problème: les conclusions de l’auteur pouvaient être, d’un point de vue politique, déplaisantes.

Deuxième problème: le ministère de la Défense nationale — qui s’occupait du service historique de l’armée — devait répondre à d’autres types de demandes provenant de journalistes, de politiciens, d’écrivains et même de ses propres fonctionnaires. «Il (Duguid) devait mettre de côté sa tâche principale et se consacrer à toutes sortes de petites anecdotes», l’a défendu M. Humphries.

Et puis Duguid était déchiré entre ses rôles d’historien et de gardien de la mémoire du Corps expéditionnaire et des soldats morts.

Il s’est aussi occupé d’autres tâches. Il a été grandement impliqué dans la construction de la chapelle du souvenir, l’élément central de la Tour de la Paix, au Parlement d’Ottawa. Il a lui-même rédigé les inscriptions et a travaillé avec les sculpteurs qui ont décoré la chapelle.

Un an après la publication du premier volume, la Deuxième Guerre mondiale a éclaté. L’histoire officielle du Corps expéditionnaire a été placée sur les tablettes alors que Duguid recevait la mission de documenter le front intérieur et de diriger les artistes de guerre canadiens. En 1945, le projet s’est remis en branle mais le deuxième volume n’était toujours pas terminé au moment de la retraite de Duguid. Quelques années plus tard, alors que les historiens s’intéressaient plus particulièrement au deuxième conflit mondial, le ministre de la Défense Brooke Claxton, a mis la hache dans l’histoire officielle de la Grande Guerre.

«Personne n’en veut», s’était-il défendu.

Duguid s’est plaint de la fin d’un projet auquel il avait consacré 25 années de sa vie.

«Mon personnel qualifié a été éparpillé tandis que le matériel qu’on avait compilé et commencé à imprimer a été jeté dans des caisses.»

Mais Brooke Claxton avait tort: la demande pour une histoire officielle du rôle du Canada dans la Grande Guerre existait toujours. En 1956, la tâche de compléter l’oeuvre de Duguid a été confiée au colonel G.W.L. Nicholson, qui avait rédigé un des volumes de «Histoire officielle de la participation de l’Armée canadienne à la Seconde Guerre mondiale».

Six ans plus tard il a publié «Histoire officielle de la participation de l’Armée canadienne à la Première Guerre mondiale: Le Corps expéditionnaire canadien, 1914-1919», un bouquin de 671 pages reposant essentiellement sur les recherches de Duguid.

Duguid, lui, s’est éteint en 1976 à l’âge de 88 ans.

Tim Cook lui rendait hommage dans «Clio’s Warrior»: «On ne peut que s’émerveiller devant l’étendue et la profondeur des recherches de Duguig.»

«Si Duguid a échoué dans sa tâche d’éditer une série de livres historiques, il n’a pas failli dans la mission de gardien de la mémoire et de la réputation du Corps expéditionnaire canadien. Le rôle de d’un historien officiel n’était pas simplement d’écrire une histoire même si on ne se souvient que de ça.»

Mark Humphries rappelle que Duguid n’avait pas reçu une formation en histoire mais on lui a donné la mission de faire le travail d’un historien. «C’est pourquoi, il me semble, que la majorité des historiens le regardent avec sympathie.»

La politique aux lendemains de la Grande Guerre et le désir de protéger la réputation du Canada pendant le conflit ont nui à la tâche de Duguid. «On l’a peint comme l’homme n’ayant jamais pu compléter son travail mais la tâche qu’on lui avait confié était impossible», a ajouté M. Humphries.

Nicholson partageait cette opinion. «Le plan de travail a été conçu sur une trop grande échelle pour être réalisé par un seul homme ne pouvant pas compter sur un personnel bien formé en histoire», avait-il écrit dans la nécrologie de Duguid en 1976.

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