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Eliane Ellbogen: «L’art numérique ne s’inscrit pas dans une logique commerciale»

Photo: Justin Desforges

En 2007, la Montréalaise Eliane Ellbogen cofondait le Eastern Bloc. Ce centre d’exposition et de production, sis dans Parc-Ex, promeut les nouveaux médias et les arts interdisciplinaires, en mettant l’accent sur l’art numérique.

Cette année, Montréal célébrait – et célèbre encore – son premier Printemps. Le numérique, s’entend. Sous ce nom, plusieurs événements se sont réunis, dont Mutek et Elektra. La galerie d’art Eastern Bloc, qui a présenté récemment la sixième édition de son festival annuel, Sight and Sound, y a aussi apporté sa contribution.

Pour Eliane Ellbogen, commissaire et directrice artistique du festival et du centre, ce Printemps a servi à faire la promotion des petits comme des gros joueurs du milieu numérique, «ceux qui présentent du contenu soi-disant difficile, tout comme ceux qui présentent du contenu plus accessible…»

… vous, chez Eastern Bloc, vous faites plutôt partie de la catégorie «contenu difficile»…
Oui, ce n’est pas un secret! (Rires) On propose du contenu très engagé, très critique, qui présente un défi, qui pose des questions. On travaille très fort pour faire connaître ces pratiques expérimentales, parfois marginales, à un public plus large. Mais on ne cherche pas à avoir 100 000 personnes d’un coup. Pour cela, il faudrait complètement changer notre contenu, et on n’a pas envie de faire un virage à 180 degrés.

Sentez-vous qu’il y a un blocage par rapport au contenu que vous proposez?
(Rires) De la part de qui?

Peut-être du – entre guillemets – grand public?
Hmm… Ce n’est pas qu’il n’y a pas d’intérêt de la part du public, mais le contenu de nos événements est difficilement vendable. On a de la difficulté à en faire le marketing. Entre autres parce qu’on n’a pas de maîtrises en marketing! L’autre blocage, c’est le manque de ressources financières. On est le milieu artistique le moins soutenu au Québec et au Canada. Et puis, il faut dire qu’à Montréal et au Québec en général, il y a très peu de journalistes qui comprennent l’art numérique et qui en parlent. C’est un très grand problème. Tandis qu’en France, en Angleterre ou en Allemagne, voire même aux États-Unis, la critique est beaucoup plus présente et développée. On a un retard de 5, 10 ans. Il y a des morceaux du casse-tête qui manquent encore, et il faut les placer au bon endroit.

On dit toujours que Montréal est la capitale des arts numériques, mais on le sent peut-être moins que lorsqu’il est question de la scène musicale, par exemple. Vous trouvez?
Ça vient un peu des instances gouvernementales. Il y a beaucoup de promotion qui a été faite par rapport à la scène musicale. Reste que, cette année, on voit qu’il y a une volonté de faire aussi celle de l’art numérique. Moi, ce qui me fait un peu peur, c’est que, comme le numérique est une jeune discipline, il existe cette idée que ça englobe tout. L’art, les industries créatives… tout. Mais l’art numérique en tant que tel ne s’inscrit pas dans une logique commerciale. En arts visuels, quand on parle d’une biennale d’art contemporain, on ne se pose pas la question à savoir s’il faut inclure les agences de pub. Ça ne fait pas partie du discours. Tandis que, pendant le Printemps, on s’est beaucoup posé la question : est-ce qu’on devrait inclure C2MTL? Est-ce qu’on devrait inclure Moment Factory?

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Vous semblez être en réflexion constante par rapport à la forme d’art que vous mettez de l’avant. Ça doit être très stimulant… ou peut-être décourageant?
Les deux! Parce qu’on se retrouve toujours face à un mur. Il y a une forme d’incompréhension par rapport à ce milieu. C’est aussi le résultat d’un simple manque de connaissances technologiques. Même si on a tous un téléphone intelligent, on ne comprend pas comment ça fonctionne ou comment on peut intégrer les technologies numériques à l’art. Ceux qui le comprennent font partie d’une élite. Il y a un travail de démocratisation à faire.

Comme vous êtes encore peu nombreux, sentez-vous une certaine unité dans le milieu de l’art numérique à Montréal?
Hmm… unité… Ce n’est pas un milieu uniforme, mais solidaire, ça oui. On va tous aux vernissages les uns des autres, on participe à nos ateliers… Au cours des cinq dernières années, on a vu émerger cette communauté. Elle s’est concrétisée.

Pensez-vous que les formations qui sont offertes y sont pour quelque chose? Vous qui avez étudié l’histoire de l’art à McGill, trouvez-vous qu’il y a plus d’ouverture du côté «éducatif»?
Oh oui, c’est sûr! Quand j’étudiais à McGill il y a 10 ans, l’art contemporain s’arrêtait aux années 1990. J’ai suivi un cours sur l’art vidéo, et c’était le seul qui était disponible pendant mes quatre années d’études! Aujourd’hui, c’est devenu une des universités à l’avant-garde, et à Concordia et à l’UQAM, des programmes ont émergé, comme Intermedia-Cyberarts. Donc oui, sur le plan académique, Montréal est à l’avant-garde, mais il y a quand même un arrimage à faire entre le milieu théorique et le milieu professionnel, artistique.

Parmi les collectionneurs, l’intérêt est-il grand?
À Montréal, pas encore. Il paraît qu’il y aurait peut-être une volonté, mais le marché commercial en arts numériques n’est pas du tout développé. Ça commence à New York, beaucoup à New York, même, un peu à Paris et à Londres aussi, mais ici, c’est rare de voir des œuvres exposées dans le milieu commercial. Je crois qu’il faut développer cet aspect parce que sinon, on va atteindre un plafond très rapidement. Oui, il y a le réseau des centres d’artistes autogérés, oui, il y a les festivals, mais beaucoup d’artistes se font exposer à l’extérieur de Mont-réal pour vendre leurs œuvres.

Au quotidien – question niaiseuse – utilisez-vous beaucoup le numérique et les technologies?
Oui, oui, pas mal! (Rires) Je ne les maîtrise pas autant que je le voudrais. Je ne suis pas programmeuse ou codeuse, mais dans les dernières années, j’ai énormément appris. Par exemple, je peux mettre à jour notre site web sans un CMS. D’être en contact avec ces pratiques, ça m’allume par rapport à l’utilisation des outils à la fois numériques et analogiques. Il y a une appréciation du lo-fi qui se manifeste quand on est entouré du numérique. On arrive à mieux le comprendre.

Vous créez?
En ce moment, non. Je crée en tant que commissaire. C’est de cette façon que je canalise mon énergie créative!

Eastern Bloc

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