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Abel Ferrara: «La caméra dit la vérité 24 images par seconde»

Photo: Yves Provencher/Métro

Abel Ferrara n’a jamais fait dans la demi-mesure. Ses films indépendants, qu’il a commencé à tourner dans les années 1970, sont souvent noirs, violents, sans issue. Donc, quand Ferrara dit «Welcome to New York», il ne dit pas: bienvenue à New York, monsieur, nous allons visiter le MOMA, magasiner sur la 5e et déguster des cronuts. Il dit plutôt: t’es arrivé dans la Grosse Pomme, mon ami? Parfait! On va s’exploser la face, inviter des escortes et se verser du champagne sur le corps en grognant comme des bêtes.

Controversé, décrié, Welcome to New York, le dernier film d’Abel Ferrara, s’inspire librement de l’affaire de l’ex-directeur du Fonds monétaire international Dominique Strauss-Kahn. Mais dans cette histoire d’abus de pouvoir et de décadence, c’est aussi, un peu, son parcours à lui que le cinéaste américain raconte. Sa vie d’excès, d’errance. Et également celle de Depardieu, qui incarne ici le pachydermique politicien Devereaux. Homme déchu, à bout de souffle, obsédé par le sexe, triste. Un être shooté au pouvoir qui en vient à croire que tout est permis.

De passage à Montréal, où on présentait le contesté objet à Fantasia («Le seul putain de festival, à part un autre en Écosse, qui a bien voulu montrer mon film», dit-il), Ferrara nous a parlé avec sa voix caverneuse et son accent râpeux du Bronx, se désignant parfois au «nous», et ponctuant ses phrases de «You know what I mean».

Le film est inspiré de DSK, mais vous dites souvent qu’il y a un peu de vous dans tous vos personnages principaux…
Ouais, j’espère!

…À quel point y a-t-il de vous dans Devereaux?
Eh bien, autant que… Quoi? Dans Devereaux? Je veux dire, autant qu’il pouvait y en avoir. Tu sais, mon boulot, c’est… de trouver le personnage principal. De le trouver en moi. Je ne peux pas faire un film à moins de compatir totalement avec le mec. Je ne vais pas sympathiser avec lui, mais je peux compatir avec lui.

C’est un film sur le pouvoir, sur son abus, et sur le sentiment de toute-puissance que peut donner à un homme un tel poste. Trouvez-vous ce pouvoir similaire à celui que peut parfois avoir un réalisateur?
Oui. N’importe quel être qui se retrouve dans une telle position peut avoir le sentiment trompeur que c’est lui le boss. Mais ton boulot, c’est ton boulot. Et la façon dont tu noues des relations et dont tu traites les autres ne peut pas changer parce que c’est toi qui donnes les ordres. Mais ça devient très… tentant. Beaucoup de gens tombent dans ce putain de piège. Le pouvoir absolu corrompt. Et tu sais, c’est des conneries, mais… c’est vrai. Le pouvoir, l’autorité, la domination se nourrissent et se renforcent d’une étrange façon.

«Je crois au changement. Je crois à la quête qui nous pousse à devenir un putain d’être humain bienveillant et compatissant. Je ne crois pas à un moment de gloire définitive.» – Abel Ferrara

Dans King of New York, [votre film de 1990, Frank White, le baron de la drogue incarné par] Chris Walken «blaguait»: «Mes sentiments sont morts. Je ne sens aucun remords». Ici, Devereaux dit: «Je n’ai pas de sentiments». Avez-vous trouvé des similitudes entre…
Ces deux sociopathes? Ce sont comme des putains de tornades! Des égomaniaques. Ils ne font qu’aspirer la vie de l’univers. Et ils le font sans aucun remords et sans aucune intention de changer.

Dans Welcome to New York, Devereaux avoue être accro au sexe. Le thème de la dépendance a toujours été présent dans vos films. Par le passé, la dépendance (aux drogues, à l’alcool) a également été présente dans votre vie… Le cinéma, est-ce une drogue aussi? Ou une façon de traiter et de confronter vos dépendances passées?
Le cinéma, c’est comme notre vie. Ça fait partie de notre thérapie, de notre guérison. Donc, ça ne va pas changer. Peu importe quelles histoires on va raconter, les films vont parler de qui nous sommes vraiment.

Depardieux
Dans Welcome to New York, Gérard Depardieu est Devereaux, homme de démesure à la morale vacillante. /collaboration spéciale

Vous affirmez souvent: la caméra dit la vérité.
Ouais. Vingt-quatre images par seconde. (Sourire)

Comme dans plusieurs de vos œuvres, on trouve dans Welcome to New York ce moment où la fête est finie. Où toute la décadence n’est plus du tout amusante.
Exact.

Pas dans celui-ci, mais dans certains de vos films, comme Go Go Tales, ce moment où tout bascule vient avec un sentiment de nostalgie. Êtes-vous, en quelque part, un cinéaste mélancolique?
… Le regret, la mélancolie… il y a tellement de choses dans un film… Non, je ne pense pas que je sois un cinéaste mélancolique. (Sourire) Parce que la mélancolie, c’est un mot magnifique. C’est une magnifique expression. C’est cinématographique en soi.

Dans la plupart de vos films, il n’y a pas de salut.
Nah! Zéro! Mais on va changer tout ça. On va faire des films sur des personnages qui vont du point A au point B, contrairement à ces types qui vont du point A au point A.

Vous croyez à la rédemption?
Absolument. Oui. Mais la rédemption, c’est une chose qui vient au jour le jour, moment par moment. Non… peut-être que je ne crois pas à la rédempt… Je crois au changement. Je crois à la quête qui nous pousse à devenir un putain d’être humain bienveillant et compatissant. Je ne crois pas à un moment de gloire définitive. Si t’es un gars de type bouddhiste ou bien Jésus, peut-être qu’alors, tu peux trouver la rédemption ultime. Mais pour nous, les mortels, c’est une question d’amélioration. Pas de perfection.

L’amélioration, c’est bien.
Ouais. (Sourire).

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=0JaltizpRWU]
Welcome to New York
En salle dès vendredi prochain

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