Ivresse et bonnet de mohair. Voilà que janvier, fidèle ombre sur nos chouclaques, se déploie les très longs sourcils sur l’inexorable attente des beaux jours.
Retour au travail, petit post-it de résolutions qui flotte vaguement dans l’eau de l’évier rempli de cette vaisselle qui te rappelle que tu as mangé les vieux pogos qui traînaient dans le congélateur hier au soir.
Alors, d’accord. C’est mon évier, que je vous décris à l’instant. J’ai consommé le mets ultime de l’apitoiement (le vôtre peut consister en une quiche lorraine ou une canne de soupe grise, à chacun sa soupaille des très petits soirs), en prenant soin de souligner, à chaque bouchée, comme la Grande Dépression semblait carnaval devant le triste spectacle de mon existence.
Vous êtes-vous pendu par les pieds au-dessus du bourbier de l’éternelle puanteur, vous aussi? Depuis que je suis toute petite, on me conditionne à la lourdeur de l’hiver, à en anticiper la noirceur et à, en quelque sorte, tâcher d’y survivre – D’Y SURVIVRE – en espérant un bon programme du lundi soir.
Je m’engage apparemment dans un billet de type journal intime, sans envolée d’amazone ni perspective affûtée sur l’actualité. Pardonnez-m’en. C’est qu’une fois de plus, je me suis laissée happer par cette batte de baseball qui fait se choir dans un banc de neige en attendant qu’on dépose sur mon crâne une circulaire annonçant le potentiel galbe inouï de ma croupe dans ces capris turquoise qui donnent envie d’investir dans cette piscine hors terre dont personne ne veut vraiment.
Et je te lis. Oh, je te lis, Suzie, qui te plains, pauvre brume, d’avoir dû régler ton cadran à 4h30 pour pouvoir te mettre en route vers cet avion qui te mènera vers une conga sans fin dont tu nous partageras chaque arabesque.
Mais tu nous partageras aussi la laideur de l’aéroport, le prix scandaleux de cet apérol spritz, la nuance framboise du fond de tête de cette voisine de siège que tu aurais préféré absente.
Nulle perspective ne m’est plus terrifiante. Tout ce vide. Cette impuissance.
Et ta longue complainte à propos de ce retour dans la neige, tes pleurs discrets et ta nostalgie des jours heureux, trois semaines après avoir tracé «Cancún» dans le sable blond. Bon. Me voilà qui digresse en maître boudeuse de tous ces loueurs de chalets. De ces pleureurs de banquets. De ces veuves siciliennes en skis Rossignol.
Est-il possible d’entretenir autre chose que le désarroi ou le dédain quotidien à propos de chaque seconde qui n’est pas présentée par les feux d’artifice de Disney? Partager un peu de lumière, en ce début d’année qui débute sur un drôle de wheelie avec ces feux, ces tragédies aériennes et tout le reste.
Un peu plus tôt cette semaine, l’astronaute David Saint-Jacques a dit: «On vit sur une boule de magma avec une petite croûte dure, l’eau des océans est comme une couche de vernis sur la terre. L’atmosphère est comme une petite brume qui est collée par la gravité et ça nous garde en vie dans le cosmos.»
Nulle perspective ne m’est plus terrifiante. Tout ce vide. Cette impuissance. Et nous, en suspension, qui nous plaignons de la couleur du papier peint. Lumière.
La bise.