Mi-mars. L’OMS vient de déclarer l’état de pandémie, le gouvernement stoppe l’économie, ferme les écoles et confine la population à domicile. L’incertitude gagne le Québec. Une pétition exigeant «une grève des loyers» vient d’être mise en ligne. Fera-t-elle boule de neige? Plusieurs propriétaires redoutent que leurs loyers soient acquittés en retard, voire pas payés du tout. Qu’en a-t-il été exactement?
La crise redoutée n’a pas eu lieu, selon différents intervenants interviewés pas Métro.
Propriétaire et fondatrice de Gestion Iparc, qui gère 600 portes pour le compte de différents propriétaires privés, Virginie Deus raconte avoir reçu quelques demandes de report en avril, tout au plus. Mais tout est rentré dans l’ordre rapidement. En fait, dès que la PCU a commencé à arriver, les locataires ont régularisé leur situation sans tarder.
«Dès que les ambassades ou les familles recommandaient aux étudiants étrangers de rentrer au pays, nous avons eu plusieurs PVtistes [détenteurs de permis Programme Vacances Travail] qui sont partis rapidement en laissant leur logement. Mais comme ils ont payé des pénalités de résiliation, il n’y a pas eu de pertes financières pour les propriétaires», ajoute-t-elle.
Autre son de cloche du côté de l’Association des propriétaires du Québec (APQ). «Ce n’est pas facile pour certains, assure Martin Messier. Plusieurs locataires ont de la difficulté à payer mais les plus honnêtes s’arrangent.»
Il mentionne que la reprise des audiences devant la Régie du logement devrait permettre la conclusion de certains dossiers problématiques. Car avoir un locataire qui ne paie pas son loyer «est plus lourd» à supporter sur le plan financier pour les propriétaires qui n’ont que quelques logements, explique M. Messier.
Au Comité logement Rosemont, une quinzaine de cas de non-paiements de loyer sont directement liés à la COVID-19, affirme Jean-Claude Laporte, organisateur communautaire depuis plusieurs années, qui pense que les autres comités logements de Montréal ont des chiffres semblables à ceux-ci. Il n’a pas été possible de parler au Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec, fermé pour les vacances.
Loyer: risque d’expulsion
Depuis le début de juillet, le comité logement dit avoir reçu une trentaine de demandes d’information de locataires souhaitant soit s’informer sur le retard de paiement du loyer soit connaître leurs droits en matière de non-paiements. «Ce matin, j’ai justement eu l’appel d’une dame dont l’audition à la Régie [du logement] aura lieu en septembre et qui craint d’être évincée. Elle est déjà à la recherche d’un logement», explique M. Laporte. Évidemment, avec un taux d’inoccupation oscillant autour de 1,5%, trouver un logement abordable ne sera pas de tout repos.
De cette trentaine, 10 ont été avisés par leur proprio qu’ils seront bientôt expulsés.
En date de mercredi, 148 ménages sont encore sans logis, selon le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). «Certains habitent chez de la famille, des amis alors que d’autres ont été pris en charge par l’Office municipal d’habitation de Montréal», explique Catherine Lussier, organisatrice communautaire au FRAPRU.
M. Laporte, du comité logement, rappelle que les mauvais payeurs sont une minorité et que les locataires qui ne paient pas leur loyer sont dans l’incapacité de le faire, qu’ils n’ont pas le choix. «Les recherches démontent que dès que les gens ont l’argent, c’est leur loyer qu’ils paient en premier. Payer son toit, c’est sa sécurité», dit-il.
«Quant le frigo brise et qu’il faut le réparer, il faut le réparer. On prend donc l’argent du loyer pour payer la facture du frigo. C’est aussi simple que ça», dit M. Laporte.
Bémol
S’il semble que la crise redoutée n’a pas eu lieu, c’est peut-être en raison de la difficulté d’obtenir des données fiables, puisque la Régie du logement vient seulement de reprendre ses activités et que les partenaires du FRAPRU sont en télétravail ou à l’arrêt.
On sait qu’il y a eu 2873 demandes d’aide financière pour le paiement du loyer pour les mois de mai et de juin, indique Mme Lussier, du FRAPRU. Toutefois, comme il fallait recevoir des prestations d’assurance chômage ou la PCU pour être admissible à ces prêts sans intérêts d’un montant maximal de 1500$, une partie des locataires mal pris a été exclue de ce programme de la Société d’habitation du Québec (SHQ). Ce qui fait en sorte que les besoins pourraient être plus grands que ce que laissent entrevoir ces chiffres.
Il ne faut pas oublier que ce coup de pouce, même sans intérêts, est un prêt qui devra être remboursé un jour ou l’autre.
«En raison des difficultés liées à la situation sanitaire, il est difficile de savoir exactement comment les gens ont réussi à s’en sortir et comment ils ont obtenu l’argent, avoue Mme Lussier. Ont-il emprunté de l’argent à des amis ou l’ont-il obtenu d’autres sources? On ne le sait pas. Comme on ne sait pas ce qu’ils ont dû couper pour arriver…»
Jean-Claude Laporte apporte un début de réponse à cette question, faisant remarquer que la fréquentation des banques alimentaires et autres organismes d’aide n’a jamais été aussi élevée que depuis la fin du printemps. Moisson Montréal, qui redistribue les denrées aux organismes communautaires, est aux premières loges de cette hausse.
«Depuis trois mois, Moisson Montréal a redonné plus de 29 millions de dollars de denrées, soit 8 millions de nourriture de plus qu’à la même période l’an passé», a précisé le directeur général de l’organisme, Richard D. Daneau.
Mme Lussier dit aussi avoir eu connaissance de quelques cas où des locataires se sont résignés à prendre un logement plus cher que ce leur budget leur permettait afin d’éviter de se retrouver à la rue.
Qu’il s’agisse de gymnastique budgétaire, de prêts sans intérêts ou d’un emprunt à un ami ou à un membre de sa famille, tout cela n’est que temporaire. Cette dette reviendra, tel un boomerang. «Les gens ont gagné du temps, ils n’ont pas gagné la capacité de payer», rappelle l’organisatrice communautaire, qui craint qu’en raison des retards dans les travaux de la Régie du logement attribuables à la COVID-19, les prochains moins soient critiques.
«Il se peut qu’en octobre, on ait un autre genre de problèmes, croit pour sa part Virginie Deus, de Gestion Iparc, de Montréal. Car plus personne n’aura d’aide à ce moment, à moins qu’il y ait d’autres programmes qui s’ajouteront.»