Dans le cadre de la Semaine de la santé mentale, Métro Média s’est penché sur les impacts de la pandémie sur les populations plus vulnérables de l’est de Montréal et les organismes qui les soutiennent.
«Quand la pandémie est arrivée, on a dû s’adapter très rapidement, autant la population que les services de santé», soutient Jonathan Brière, directeur des Programmes santé mentale, dépendance et itinérance pour le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.
Afin de limiter la propagation du virus, le Centre a dû rediriger les services en externe vers le téléphone, la télésanté et les visites à domicile.
Bien que les hospitalisations aient baissé, la détresse psychologique a fait augmenter la demande de certains services. Par exemple, il y a eu une augmentation «en première vague de 30% des appels sur la ligne de l’Équipe mobile de crise Résolution», soutient M. Brière.
La hausse de la demande de services en santé mentale s’est aussi observée dans le milieu communautaire. Selon un sondage interne réalisé en août 2020 au sein du Réseau alternatif et communautaire des organismes (RACOR) en santé mentale de l’île de Montréal, 43% des organismes avaient observé une augmentation des demandes d’aide depuis le déconfinement.
Durant cette période, plusieurs organismes ont dû restreindre ou cesser leurs services en présentiel, et certains usagers étaient confinés. Pour les rejoindre, certains ont développé une offre à distance, soit téléphonique ou par Zoom.
Si les outils virtuels ont permis de garder contact, plusieurs usagers en situation de vulnérabilité ne se sentaient pas à l’aise qu’on voit l’intérieur de leur maison, indique Aurélie Broussouloux, directrice générale du RACOR. D’autres n’avaient pas accès à Internet ou à des appareils technologiques.
«Ils ont tellement un besoin de communiquer, de socialiser avec d’autres mondes, d’être en présence. Ce n’est pas la même chose Zoom. Tu n’as pas la même chaleur humaine», ajoute Nancy Archambeault, directrice de l’Art-rivé, un centre de jour en santé mentale pour adultes autonomes situé à Rivière-des-Prairies.
Anxiété et dépression
D’après la Direction régionale de santé publique (DRSP), entre septembre et novembre 2020, plus de 3 Montréalais sur 10 avaient des symptômes compatibles avec un trouble d’anxiété généralisée ou un trouble dépressif majeur probable, contre 23% pour l’ensemble du Québec.
Une détresse que constate Mme Archambeault chez les usagers de son organisme. Malgré le déconfinement partiel, certains refusent toujours de sortir de chez eux par peur du virus. D’autres, simplement, «sont épuisés, et ont hâte de voir leur famille».
«Beaucoup de gens ont replongé dans une dépression. Il y a eu beaucoup de complications de nos cas», s’inquiète-t-elle.
La situation est particulièrement ardue pour les personnes vivant en foyer de groupe, alors que plusieurs sont confinés depuis des mois sans sortie. «C’est difficile. Il y en a qui ne passent pas trop au travers.»
L’Est, durement touché par la crise
Les impacts sanitaires, sociaux et financiers de la pandémie ont aussi contribué à dégrader le bien-être et la santé mentale de plusieurs résidents défavorisés de l’est de Montréal, soutient Mme Broussouloux.
«Dans l’est de Montréal, on ne se le cachera pas, dans les quartiers qui sont plus défavorisés, ça a fait des réactions en chaîne. Il y a plus de cas de COVID. Il y a aussi plus souvent des personnes avec des problèmes de santé mentale, de précarité.»
Elle ajoute que la crise alimentaire, exacerbée par la pandémie, a d’ailleurs touché plusieurs personnes à santé mentale précaire.
D’autres, sans accès à internet, n’ont par exemple pas pu bénéficier d’activités virtuelles d’organismes, explique-t-elle. «Même pour faire l’épicerie en ligne, ceux qui n’ont pas Internet ont été obligés de plus s’exposer. C’était un stress supplémentaire.»
Intervenants au front
Face aux défis de la crise, M. Brière salue qu’ il y ait eu «énormément de résilience de la part du personnel de la santé.»
Une résilience qui s’est aussi observée dans le milieu communautaire, mais qui a aussi été accompagnée d’épuisement professionnel, souligne Mme Broussouloux. Le stress de la pandémie s’est ajouté à la surcharge de travail liée au manque de ressources.
L’intervention a ainsi été très difficile pour plusieurs intervenants en contexte de crise sanitaire. «Nous aussi on ne comprend pas. On ne sait pas où on s’en va, et on se sent démuni. Le challenge là-dedans, c’est qu’il faut aider, mais nous aussi vit un stress.»
Pour Mme Archambeault, les intervenants ont surtout souffert du manque de contact avec les usagers, qui «donnent un sens» à leur travail.
Rétablissement
La vaccination fait déjà réfléchir à une réalité post-confinement. Or, les impacts sur la santé mentale, tels une recrudescence de personnes qui souffrent de choc post-traumatique, de dépression et d’anxiété, risquent de se faire sentir dans la population encore un temps, craint Mme Broussouloux.
Pour sa part, M. Brière indique que le CIUSSS travaille déjà conjointement avec la DRSP à un plan de rétablissement de la population de l’Est, qui sera piloté sur environ 14-15 mois. «On veut aller chercher la clientèle qui a des problématiques plus psychosociales, en santé mentale, les personnes âgées. On ratisse large.»
À son avis, malgré la situation difficile, il faut miser sur la résilience des personnes et de la communauté.
«Il y a énormément de services dans nos services communautaires. Il y a beaucoup de maillage à faire avec la santé, la communauté peut se mobiliser énormément pour faire preuve de résilience, et se rétablir par rapport à ça».