Les assises de la refondation du système de santé du Québec sont prometteuses, s’entendent pour dire des intervenants du milieu de la santé de Montréal. Les objectifs en place sont toutefois très ambitieux, au point où certains craignent que ce virage soit difficile à réaliser.
La Coalition avenir Québec (CAQ) abandonne la promesse électorale qui aurait garanti un médecin de famille à tous les Québécois. Plutôt, on propose l’accès à un spécialiste de la santé approprié dans des «délais raisonnables». Un guichet de service unique sera créé, qui dirigera les citoyens vers un omnipraticien, une infirmière spécialisée, une pharmacie ou des services de télésanté en fonction de leurs besoins.
«C’est une très bonne idée, mais est-ce que c’est quelque chose qui pourra être mis en opération dans le contexte actuel?», s’interroge la directrice du Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de santé publique de Montréal, Roxane Borgès Da Silva. «Il y a des enjeux de ressources humaines qui rendront cela difficile à réaliser.»
On l’a vu avec le 811 en pandémie: c’était une bonne idée, mais qui était difficile à appliquer. On s’est retrouvé avec des heures d’attente interminables.
Roxane Borgès Da Silva, directrice du Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de santé publique de Montréal
La chercheuse salue aussi la volonté du gouvernement de vouloir faire place à des systèmes d’information pour faciliter l’accès aux données personnelles des patients. «Le partage de ces données a toujours été extrêmement boudé», corrobore le chef des soins intensifs de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, François Marquis. «Il n’est pas rare qu’il soit impossible d’avoir accès à des informations cruciales sur des patients, concernant par exemple leur dernière hospitalisation.»
Changement de paradigme
La pandémie offre une conjoncture favorable au grand virage que veut entreprendre Québec, estime le Dr Marquis. À ses yeux, les différents spécialistes en santé qui travaillaient auparavant en silo sont plus prêts que jamais à décloisonner leur pratique pour faciliter l’accès aux soins aux patients.
On a identifié beaucoup de bons éléments sur lesquels travailler dans ce plan. Je pense que tous les acteurs du milieu ont appris à se connaître, et qu’il y a une volonté qui existe vraiment.
François Marquis, chef des soins intensifs de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont
Parmi les bons coups, il soulève la volonté de maintenir le temps supplémentaire obligatoire (TSO) pour le personnel de la santé uniquement dans des circonstances exceptionnelles.
Écueil en vue
En raison de la pandémie, Québec doit reprendre des milliers de chirurgies qui sont en attente depuis des mois. Pour ce faire, des partenariats seront multipliés avec des cliniques privées.
«La transition du public au privé est délicate, affirme le Dr Marquis. Il faudra un ajustement pour s’assurer que les ressources publiques ne soient pas drainées par le privé.»
«Ça me fait peur, avoue la présidente du Syndicat des professionnelles en soins de santé de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Johanne Riendeau. On voit déjà beaucoup d’employés quitter vers le privé, il ne faudrait pas qu’on aggrave la pénurie.»
Au sein du syndicat, on se désole que des limites de patients n’aient pas été accordées aux infirmières.
«Ça fait tellement d’années qu’on a de mauvaises conditions de travail, que les gens nous voient courir les pattes aux fesses. On a une grosse pente à remonter pour espérer attirer davantage de nouveaux candidats et pour garder notre monde en place», conclut-elle.