Montréal

«Je ne veux pas qu’on “joue” avec moi, je ne suis pas un objet»

Métro a rencontré Mathilde*, Congolaise récemment arrivée à Montréal, au refuge de Chez Doris.

«Je suis au paradis ici comparé à là d’où je viens», laisse tomber Mathilde* pour qualifier son expérience Chez Doris, organisme qui répond aux besoins de femmes en situation d’itinérance.

Mathilde est arrivée le mois dernier à Montréal, fuyant la République du Congo, où elle subissait de multiples formes de persécution et de violence dans un mariage polygame à un homme influent.

[Mon mari] pouvait faire ce qu’il voulait de moi.

Mathilde

Cette situation intenable a poussé Mathilde à manifester certains signes d’insubordination.

Une insubordination sévèrement punie. Le père de son mari, détenant lui aussi un certain pouvoir politique, lui a enlevé son nouveau-né, qu’elle n’a jamais revu depuis. Son fils est aujourd’hui âgé de 11 ans.

La Congolaise a aussi laissé derrière elle ses trois autres enfants de 15, 16 et 18 ans en fuyant son pays.

En mai 2022, en représailles à un autre épisode de résistance de Mathilde, son mari et son beau-père l’ont fait incarcérer dans une prison de Brazzaville, capitale du Congo.

Mathilde explique que sa cellule sans fenêtre était à peine plus grande que le bureau du refuge de Chez Doris dans lequel Métro l’a rencontrée. «J’entendais seulement le bruit des avions», illustre-t-elle quant à son seul contact avec le monde extérieur.

Le 28 août 2022, la jeune femme a été en mesure de s’évader de son lieu de détention. Un homme qui lui était inconnu, mais qui connaissait bien son père, l’a aidée à s’échapper en honneur de ce dernier.

Les deux étant désormais fugitifs, ils ont fui le pays et se sont dirigés vers New York en passant par le Maroc. De New York, ils se sont rendus en voiture jusqu’à la frontière canadienne.

«Pour moi, les hommes, c’est l’enfer»

«[Les hommes] “jouent” avec toi jusqu’à ce qu’ils soient fatigués, puis ils te relâchent», déplore Mathilde, en faisant allusion aux nombreux épisodes de violence qu’elle a vécus au Congo, avec des proches ou des étrangers.

C’est la nécessité vitale de ne pas être traitée comme un objet qui l’a poussée à se rebeller contre son mari, au péril de sa vie et malgré le risque de perdre ses enfants.

«Ce que les femmes sont en train de supporter là-bas, ce n’est pas humain», dénonce-t-elle.

La docteure en sociologie Betty Baba, spécialisée dans la recherche sur la violence envers les femmes et la polygamie sur le continent africain, fait pour sa part état de statuts sociaux très inégalitaires entre les hommes et les femmes au Congo. Le récit de Mathilde ne la surprend pas: la violence conjugale, l’enlèvement d’enfants par des membres de la famille, surtout s’il s’agit d’un garçon, et la polygamie sont monnaie courante dans le pays.

«En Afrique, il faut qu’une femme soit soumise à l’homme. L’homme est toujours pourvoyeur, et la femme est toujours ménagère», explique-t-elle

Mme Baba est catégorique: une femme qui s’oppose à cet ordre établi s’expose à des risques.

Si [son mari] est quelqu’un d’influent, il peut faire ce qu’il veut […] on se retrouve dans un îlot d’hommes, et c’est le pouvoir qui règne.

Betty Baba, sociologue en étude des femmes et des genres

La sociologue souligne par ailleurs la difficulté pour les Africaines de se plaindre ou de se sortir d’environnements violents, en raison de leur dépendance socioéconomique envers leur mari et de l’absence de soutien familial.

«Je prie et je chante»

Mathilde est très reconnaissante d’être hébergée au refuge de nuit de Chez Doris. Notamment pour être à l’abri du froid, précise celle qui n’a jamais expérimenté de climat semblable à celui de l’automne québécois.

«Je dors à merveille», se réjouit la Congolaise, malgré les ronflements et les déplacements nombreux pendant la nuit dans le dortoir.

Une barrière linguistique rend la socialisation difficile avec les autres usagères du refuge, celles-ci étant souvent unilingues anglophones. Mathilde passe donc une bonne partie de son temps à prier et à chanter, l’ennui et la solitude étant tout de même difficiles à combattre.

«Tout ce que je veux, c’est être une personne normale, avec les mêmes droits que vous», conclut celle qui rêve de devenir coiffeuse ou pâtissière.

*Son nom a été changé afin de protéger son anonymat et celui de ses enfants.

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