Un modèle de développement résidentiel encore peu utilisé au Québec pourrait permettre à la Ville de Montréal de s’assurer que les nouveaux projets de logements abordables demeurent réellement abordables. En utilisant l’emphytéose, un contrat foncier à long terme entre le propriétaire et le promoteur, la Ville pourrait offrir des logements privés qui resteraient à l’abri de la hausse des prix du marché, selon des experts consultés.
«Ce qu’on reproche au programme de logement abordable actuel, c’est qu’on réussit à maintenir le prix abordable du logement subventionné par des clauses pénales [du contrat entre la Ville et le promoteur] sur cinq ou dix ans, mais après, le logement se revend au prix du marché, affirme Me Pierre B. Paquin, avocat spécialisé en droit immobilier au cabinet Bélanger Sauvé. On perd donc l’avantage de la subvention donnée sur le prix initial du logement pour les acheteurs ultérieurs.»
En rendant ses terrains disponibles pour des contrats emphytéotiques, comme le propose le parti Ensemble Montréal pour le développement du futur quartier Namur-Hippodrome, la Ville de Montréal pourrait favoriser l’accès à la propriété aux ménages à plus faibles revenus, en accordant une subvention indirecte au logement qui durerait au moins 50 ans.
Un avantage transmis à l’utilisateur
L’emphytéose est un contrat foncier de très longue durée entre le propriétaire – dans ce cas-ci, la Ville – et le promoteur, qui permet à celui-ci de développer le terrain du propriétaire moyennant une rente emphytéotique qui s’apparente à une forme de bail, explique Me Paquin. Le promoteur peut ensuite vendre les logements construits à de futurs utilisateurs. Ainsi, un utilisateur qui achètera un logement construit sur un terrain sous emphytéose aura un droit de propriété sur le logement, mais pas sur le terrain. Tout au long de l’emphytéose, le terrain reste une possession de la Ville.
L’avocat en droit immobilier souligne que cette méthode de développement diminue le financement initial requis par le promoteur, comme il n’a pas de besoin d’acquérir le terrain. «Si on accorde une rente emphytéotique qui est compétitive sur 50 ans, ça pourrait être une façon de concéder un avantage au constructeur, et on pourrait s’assurer que l’avantage soit transmis à l’utilisateur», avance Me Paquin.
Favoriser la propriété d’usage
Comme les utilisateurs deviennent uniquement propriétaires du logement, ces logements appartiennent à un marché distinct de celui du logement résidentiel ordinaire. «Comme ils sont hors marché, ces logements sont plus abordables. Le gain en capital du terrain n’est jamais vendu», affirme Jean-Philippe Meloche, professeur en économie urbaine à l’Université de Montréal.
Ainsi, les logements construits sur des terrains sous emphytéose échapperaient à une bonne partie de la spéculation du marché privé. «Si, collectivement, on considère que c’est important que les gens accèdent à la propriété, ce modèle de développement favorise la propriété d’usage, plutôt que la propriété lucrative», fait valoir Louis Gaudreau, sociologue et professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal.
Cela peut cependant devenir un inconvénient pour les utilisateurs qui voudraient retourner dans le marché ordinaire. «Avec ce type de développement, l’avantage, c’est que le premier acheteur a la capacité d’acheter en dessous des prix du marché. L’inconvénient, c’est que quand les gens veulent quitter, la marche est haute, car la valeur de leur logement n’aura pas suivi le marché», nuance Jean-Philippe Meloche.
Le développement de futurs logements abordables à l’aide de terrains gardés sous emphytéose par la Ville de Montréal ne peut freiner à lui seul la crise du logement actuel, soulignent les experts consultés. Il pourrait en revanche s’agir d’une méthode intéressante pour favoriser l’accès à la propriété aux ménages à plus faibles revenus.