Alors que l’inflation des prix frappe le Québec de plein fouet, des familles s’organisent pour économiser du mieux possible leur argent. Des choix qui peuvent mettre en péril la santé mentale ou physique des personnes déjà fragiles.
Selon Statistique Canada, sur une base annuelle moyenne, l’Indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 3,4% en 2021 au Canada. Cette flambée financière a d’importantes répercussions sur les personnes avec les plus faibles revenus, contraintes de repenser leurs achats à l’épicerie. «Tout a augmenté, c’est effrayant», clame Isabelle, mère monoparentale qui vit avec sa fille de 11 ans, dans Hochelaga. «Avant, deux steaks me coûtaient autour de 15$, maintenant ça passe les 20$», précise-t-elle. Même remarque pour le poisson, les produits laitiers ou encore d’autres produits non alimentaires, comme ceux à la pharmacie.
En effet, selon Statistique Canada, les Canadiens ont payé 2,2% de plus pour leur épicerie en 2021, après avoir déjà connu une hausse de 2,4% en 2020. Les prix des articles pour le petit-déjeuner ont notamment augmenté, comme les œufs (+6,3%), le bacon (+12,5%) ainsi que les fruits frais (+2,6%), qui étaient tous plus élevés en 2021.
Avec un budget de 400-450$/mois pour manger à deux, faire l’épicerie est devenu pour Isabelle une véritable chasse aux petits prix, afin de dénicher les bonnes affaires. «Je vérifie tous les spéciaux, et les compare avec les autres épiceries. Je vais chez Super C, et aussi chez Maxi, si je vois de meilleurs spéciaux», explique Carole, qui n’hésite pas à se rendre encore plus loin, pour trouver les meilleures offres.
Même scénario dans le Sud-Ouest pour Carole, maman monoparentale qui vit avec sa fille de 24 ans. «En parallèle de ses études, ma fille travaille comme sauveteur dans les piscines, et elle m’aide à payer certaines choses à la maison, comme l’essence pour la voiture», explique Carole. La maman déplore que «les prix augmentent, mais pas les salaires» et se serre la ceinture depuis déjà plusieurs mois. «On consomme de moins en moins de viande. Là par exemple, j’ai dépensé 50$ de bœuf pour faire une sauce bolognaise dans les spaghettis. Alors que c’était encore 40 ou 45$ il n’y a pas longtemps, pour la même quantité.»
Carole a décidé de donner la priorité à une alimentation la plus équilibrée possible, et a fait le choix de restreindre les dépenses non nécessaires, comme les vêtements et le coiffeur. La maman explique que même lorsque les restaurants avaient réouvert fin 2021, elle ne s’y est pas rendue, car elle doit garder son argent pour les réparations de sa voiture. Une situation qui, selon elle, ne va pas s’améliorer dans l’avenir. «Je pense que je vais faire moins de sorties, comme aller au cinéma, ou voir des spectacles», confie Carole.
Une alimentation saine, c’est aussi la priorité choisie, dans Ahuntsic, par Stéphane, père de deux garçons âgés de 9 et 11 ans, dont il a la garde partagée. «La hausse des prix, je la vois au quotidien, puisque je fais mon épicerie quasiment tous les jours», explique Stéphane, qui aime cuisiner des produits frais. «Mais les fruits et les légumes, c’est comme si ça devenait des produits de luxe», souligne le papa, qui adapte ses achats en fonction du prix des aliments. «Si je vois que le poireau est trop cher, alors je me retourne vers le navet. Et si c’est pas le navet, alors ça sera de la pomme de terre», mentionne Stéphane.
Cercle vicieux pour la santé
Cette hausse des prix à l’épicerie est aussi une source d’inquiétude pour les personnes victimes de troubles alimentaires. «L’impact des prix peut amener à exacerber ces troubles», soutient la nutritionniste et coach en alimentation intuitive Guylaine Guevremont, dont le cabinet Muula est basé à Hampstead.
D’ailleurs, la professionnelle remarque déjà une augmentation des demandes de consultation depuis le début de l’année 2022. Et plus généralement depuis le début de la crise de la COVID-19.
«La réalité de ma clientèle, ce sont des clients qui souffrent de boulimie ou d’hyperphagie. Le coût de la nourriture qui augmente, ça augmente encore plus la pression sur ces aliments qu’ils apprécient, et dont ils décident de se priver», explique la nutritionniste. «Le stress économique peut entraîner une consommation encore plus grande d’aliments, et engendrer une détresse supplémentaire. D’autres vont choisir la privation, qui entraîne aussi une surconsommation des mauvais aliments.»
En pensant contrôler la situation, le patient ne fait en réalité qu’aggraver la perte de contrôle. La nutritionniste rappelle en revanche que «les troubles alimentaires, ça se guérit» et elle encourage vivement les personnes atteintes de ces troubles à consulter un spécialiste. «Quand on voit que c’est au-delà de nos forces d’avoir une relation saine avec la nourriture, il faut consulter et se faire aider», conclut Guylaine Guevremont.