La convergence de la cinquième vague de la COVID-19 et des grands froids qui frappent présentement Montréal rend plus difficile la vie des personnes en situation d’itinérance et des organismes destinés à leur venir en aide. La directrice générale de l’Accueil Bonneau, Fiona Crossling, parle d’une véritable «crise humanitaire». Tandis qu’à la Mission Bon Accueil, on critique l’approche «dépassée» des gouvernements, à la Mission Old Brewery, on déplore le manque perçu d’investissements dans le milieu.
Situé dans l’arrondissement Ville-Marie, l’Accueil Bonneau offre de nombreux services, dont un centre de jour, mais pas de ressource d’hébergement d’urgence pour la nuit. Les employés de l’organisme ont trimé dur, dans la journée de samedi, contactant d’autres ressources et vérifiant les disponibilités dans les haltes-chaleur récemment aménagées pour loger le plus de personnes pour la nuit.
«C’est l’enfer. C’est difficile. Les gens, ce qu’on a remarqué ce matin. On a eu quelques crises comportementales et c’est vraiment dû au froid. Les gens sont tellement stressés au point où ils sont en train de craquer mentalement parce qu’après 15 minutes dehors, on gèle. On a des gens qui sont arrivés avec des fermetures éclair qui ne fonctionnent plus, des bottes maganées. Les gens gèlent. Ça a un impact physique évidemment. Mais aussi sur leur santé mentale», raconte-t-elle.
Mission Bon Accueil
À la Mission Bon Accueil, le refuge d’urgence pour personnes en situation d’itinérance accueille le maximum de personnes possible, soit 295, depuis maintenant «au moins deux mois» selon le directeur général de l’organisme, Sam Watts. Ce dernier estime que le modèle de service qui oriente les actions des ressources en itinérance est dépassé.
S’il applaudit la mise en place récente par la Ville de Montréal d’une halte-chaleur dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, il estime qu’on doit changer l’approche avec laquelle on traite les problématiques reliées à l’itinérance.
«De continuer à traiter des refuges d’urgence ou des haltes-chaleur comme des destinations, c’est une réponse, mais ce n’est pas une solution. Il faudrait bâtir un système pour les personnes en situation d’itinérance où on va avoir un continuum de services et de soins. À l’entrée d’un service, on doit rencontrer la personne et savoir ses besoins et ensuite donner un référencement vers quelque chose qui va vraiment aider de façon permanente. Au lieu d’avoir un système aléatoire, sous-financé et sous-équipé et même pour la plupart sous-qualifié», souligne-t-il.
Mission Old Brewery
Également située dans Ville-Marie, la Mission Old Brewery offre de son côté 42 lits d’urgence pour les femmes en situation d’itinérance ainsi que 170 lits pour les hommes. Le refuge d’urgence affiche complet depuis un certain temps. Vendredi soir, l’organisme a dû refuser quatre demandes d’hébergement effectuées par d’autres organismes qui tentaient de trouver un toit pour des femmes en situation d’itinérance.
«On fait face à un des très grands froids d’hiver, à une pandémie très contagieuse, à une pénurie de main-d’oeuvre et de logements pour des personnes en extrême pauvreté. Tous ces facteurs ensemble font en sorte que nous faisons face à un défi à l’heure actuelle peut-être plus important que l’on a jamais vu dans l’histoire récente pour ce secteur», souligne le président et chef de la direction de l’organisme, James Hughes.
Ce dernier déplore que des douzaines de postes d’intervenants soient à combler au sein de son organisation.
«C’est très dur de recruter et retenir du personnel pour ce travail très complexe. On fait un appel pour les personnes qui sont intéressées à travailler en itinérance, qui ont de l’expérience en intervention. Levez votre main et appelez-nous», lance M. Hughes.
Situé dans l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc Extension, le stade de soccer de Montréal permet depuis jeudi d’accueillir jusqu’à 350 itinérants atteints par la COVID-19. Mis à la disposition du gouvernement du Québec par la Ville de Montréal, le nouvel aménagement est administré par la Mission Old Brewery.
M. Hughes affirme toutefois que faute de financement, le réseau d’organismes qui offrent des places en hébergement d’urgence aux itinérants accuserait un déficit par rapport à l’an dernier de 200 lits disponibles pour les sans-abris n’ayant pas contracté la COVID-19.
S’il salue la mise en place de certaines mesures telles que le réaménagement de l’Hôtel-Dieu du CHUM, au début juillet, afin d’y installer une centaine de lits d’urgence pour les itinérants, M. Hughes déplore que les recommandations du plan de cinq ans déposé en juin par des organismes en itinérance n’auraient, en grande partie, pas été appliquées.
«On a déposé le plan en juin pour avoir le temps de développer de nouveaux sites. Et là, on est au milieu d’un hiver avec une pandémie contagieuse et on ne peut rien faire dans le très court terme parce qu’on a des défis de recrutement de personnel. C’est pourquoi on avait besoin de trois à quatre mois de préavis pour pouvoir monter ces sites. Tandis que là, on n’a pas le temps. Le temps a été perdu par le manque d’action suffisante quand c’était le temps de le faire. Maintenant, c’est trop tard pour monter des sites rapidement», soutient-il.
La lutte contre l’itinérance
En octobre, le gouvernement québécois promettait de s’attaquer à la problématique de l’itinérance exacerbée par la pandémie en investissant une somme de près de 280 M$ dans un nouveau programme ayant pour but de faciliter l’accès au logement au cours des cinq prochaines années.
Plutôt que de travailler «dans l’urgence», dans le but de fournir des logements d’urgence aux personnes dans la rue, Québec miserait sur une «prise en charge globale, permanente et plus stable», avait expliqué le ministre délégué aux Services sociaux, Lionel Carmant.
Un montant de 77 M$ sera investi afin de stabiliser la situation résidentielle des personnes en situation d’itinérance ou en voie de le devenir. Les services destinés aux personnes en situation de dépendance se verront octroyer un investissement supplémentaire de 40 M$. Une somme de 14 M$ visera à réduire l’itinérance chez les peuples autochtones, et 10 M$ seront réservés aux services pour les femmes.
En campagne électorale municipale, cet automne, la cheffe de Projet Montréal et actuelle mairesse de la métropole, Valérie Plante, avait dit souhaiter offrir aux personnes en situation d’instabilité résidentielle «plus que de l’aide d’urgence à la pièce».
Elle avait promis de doubler les investissements en itinérance, les faisant passer de 3 M$ à 6 M$ par année dans le cadre d’un plan d’une valeur de 24 M$ sur quatre ans.