Patrick Emmanuel Abellard compare un parcours de comédien comme le sien à celui de l’évolution d’une entreprise: il estime qu’il faut environ cinq ans avant de pouvoir juger de la rentabilité et des retombées de ladite compagnie. Lui en est à sa septième «année d’opération» dans son métier… et il commence à générer du profit. Avec une cerise appelée King Dave sur son sundae.
«Ce que j’apprends de l’industrie, surtout à Montréal et d’après ce que moi, j’ai vécu, c’est que c’est vraiment un travail en amont. J’ai l’impression que le travail que j’ai investi il y a cinq ans, de rencontrer les gens, de me faire connaître, de faire du bon travail, je commence vraiment à en mesurer les bienfaits. Et, en fait réel, je n’en suis qu’au début de ma carrière», observe l’artiste de 26 ans, natif de LaSalle.
La diversité: une lente évolution
Ayant grandi à Montréal devant un petit écran qui, dans sa jeunesse, n’exhibait pas beaucoup de modèles de vedettes noires, outre Normand Brathwaite et Gregory Charles, Patrick Emmanuel Abellard a longtemps rêvé d’Hollywood, pensant minces ses chances de percer le show-business d’ici. Il croyait d’abord pouvoir s’exiler rapidement, mais il a compris qu’il devrait sans doute manger ses croûtes ici avant d’aller briller ailleurs. «J’étais un peu naïf», remarque-t-il.
«Aujourd’hui, je suis le seul jeune homme noir, bilingue, que je connais, qui travaille dans autant de facettes de l’industrie du cinéma à Montréal. Je suis à l’avant de ce que j’essaie d’accomplir. Sans avoir de modèles, j’ai l’impression d’être aux premières lignes, et j’espère ouvrir le chemin à d’autres jeunes comme moi, bilingues et issus de la diversité, hommes ou femmes.»
Patrick Emmanuel Abellard considère qu’un fond de racisme systémique perdure au Québec. Comme partout ailleurs sur le globe, s’empresse-t-il d’ajouter.
«Le peuple québécois tarde à passer à autre chose. Une partie de notre société a été un peu mise à part dans notre culture, mais on essaie de rattraper ça, et ça s’en vient.»
«Je refuse toujours les rôles de petits bums de gangs de rue qui se font assassiner au troisième épisode», illustre-t-il, citant un cliché auquel les acteurs noirs ont longtemps été confinés au petit écran.
Or, sent-il que la télévision québécoise déploie suffisamment d’efforts pour valoriser de plus en plus la diversité dans ses émissions?
«Absolument. C’est un processus lent. L’évolution prend du temps, mais il y a des efforts très clairs et démonstratifs qui sont investis. On apprend à bien faire», se réjouit celui qui n’a pas l’intention d’être le porte-étendard de la question de la diversité, mais qui ne se gêne pas pour se prononcer lorsqu’on le lui demande.
«Mais, si j’ouvre ma bouche pour en parler, je veux être le plus pertinent possible», lance-t-il.
Le défi King Dave
En 2012, cet enfant des écoles privées pensait devenir avocat, mais une copine qui s’inscrivait dans le programme de théâtre professionnel au Collège Dawson a finalement fait bifurquer sa voie.
Patrick Emmanuel Abellard est sorti de l’institution anglophone en 2015, diplôme en poche, a roulé sa bosse sur les planches dans la langue de Shakespeare, avant de décrocher ses premiers rôles muets dans des séries comme Unité 9 et District 31.
Dans la dernière année, son rôle de policier, partenaire avenant de Mylène (Anne-Élisabeth Bossé) dans Plan B, a attiré les regards sur lui. Et le Théâtre Duceppe l’a gâté du rôle principal de l’immortelle pièce King Dave, qu’il a interprété tout l’automne dernier en tournée dans une quarantaine de représentations, encore en ce début d’été à Montréal, et qu’il reprendra peut-être en anglais au Théâtre Centaur prochainement.
Il a ainsi succédé à Anglesh Major, qui avait été le premier, l’an dernier, à jouer King Dave dans une perspective nouvelle de diversité culturelle avec ses enjeux de racisme systémique, d’identité et d’intolérance, dans la peau du personnage-titre d’un adolescent en mauvaise posture. Un mandat qu’il prend très au sérieux, non seulement en maîtrisant son texte à la perfection, mais aussi en se tenant en forme physiquement et en soignant son alimentation.
«Le texte original d’Alexandre Goyette est un monument de la culture québécoise, glisse Patrick Emmanuel Abellard. C’était un travail important à faire, que de l’adapter pour une personne de la diversité. Ça donnait une opportunité à la communauté de se sentir représentée, de parler de ses histoires. Je trouvais que c’était presque une obligation, en tant qu’artiste.»
Patrick Emmanuel Abellard n’a pas réellement connu la spirale de petite criminalité dans laquelle est aspiré son alter ego de King Dave, mais affirme avoir été touché en plein cœur par la tombée du protagoniste, victime d’un manque d’encadrement et de circonstances néfastes.
Une dernière représentation de King Dave est prévue aujourd’hui, mercredi 22 juin, au Théâtre Duceppe, et destinée aux organismes œuvrant auprès des jeunes.