Il n’était pas encore tourné, ce film, que déjà, il faisait couler de l’encre. Arlette prend finalement l’affiche vendredi, Maripier Morin à sa tête.
Jasons d’abord de l’œuvre. Car, oui, il y a bien une œuvre derrière le battage publicitaire qui dure depuis plus d’un an.
Arlette est un long métrage divertissant, qui vise visiblement un large public, réalisé par une Mariloup Wolfe qui s’est apparemment éclatée à matérialiser les idées de grandeur amenées par la scénariste Marie Vien (voir notre entrevue plus bas), laquelle a accolé à son synopsis des références monarchiques et musicales classiques que les aguerri.e.s reconnaîtront.
Ni pointu ni burlesque
Arlette (Maripier Morin), directrice d’un magazine de mode reconnue pour son audace, est repêchée par le premier ministre du Québec (Gilbert Sicotte) pour devenir ministre de la Culture et rajeunir l’image du gouvernement.
Partout, on décrie le manque d’expérience de la nouvelle recrue, on remet en cause ses compétences. Mais Arlette (remarquez le jeu de mots avec les mots «art» et «lettre») en a vu d’autres et s’emploie à clouer le bec de ses adversaires (qui siègent parfois dans le même caucus qu’elle)… dont celui du rigide ministre des Finances (David La Haye), qui souhaite faire passer un nouveau projet de loi vertement vilipendé : taxer les livres. Tout en apprenant les rouages de son nouvel univers, Arlette devra monter au front contre son collègue et prouver qu’elle a bien la culture à cœur.
L’histoire aurait pu verser dans le film d’auteur pointu ou le pamphlet comédique décalé à la Bunker, le cirque, de Luc Dionne – où, en 2002, la métaphore prenait parfois le pas sur le récit (les politiciens «tablettés» y étaient réellement assis sur des tablettes!). On aurait pu aussi choisir d’imiter le délire burlesque le plus total auquel s’apparente parfois La Maison-Bleue. Entre les deux, Si la tendance se maintient, avec Michel Côté, en 2001, tentait la critique sociale d’un trait d’humour pas nécessairement délicat. La politique n’a jamais été un sujet sexy ni facile à traiter à la caméra.
On aurait donc pu aller d’un côté ou de l’autre avec Arlette; on a choisi de se stationner quelque part à mi-chemin. C’est parfois gros, Arlette ne se démarque pas par sa finesse ou sa subtilité (comme en fait foi cette scène torride avec… Lara Fabian!), mais on ne campe pas non plus dans la caricature ridicule. On incite à une certaine réflexion, même si le propos ne recèle pas une grande matière à débats. Le film soulève néanmoins d’évidentes questions sur le pouvoir, le féminisme, l’importance de l’image.
On y dépeint les jeux de coulisses de la politique, ses coups de poignard et son décorum d’un ton plus qu’accessible. Est-ce conforme avec exactitude à la réalité? «Le bon Dieu le sait et le diable s’en doute», on imagine.
Répliques truculentes
Ce qu’on retiendra surtout, ce sont les répliques truculentes, lancées par des acteur.trice.s en grande forme (Paul Ahmarani, Antoine Bertrand, Bruno Marcil…), qui semblent parfois se bidonner dans ce cadre semi-solennel.
«Dans votre monde, les journalistes veulent voir de la peau; en politique, les journalistes veulent avoir votre peau», avertit le chef de cabinet Pierre-Olivier Caron (toujours brillant Benoît Brière) à l’endroit d’Arlette.
«J’suis pas une femme, j’ai pas besoin d’avoir de charme», décrète pour sa part un ministre des Finances (David La Haye) drôlement suffisant.
Anne Casabonne – choisie avant son saut dans le parti d’Éric Duhaime – se défend aussi très bien en journaliste qui ne lâche pas le morceau.
Maripier Morin, ou faire abstraction du brouhaha
Et Maripier Morin? Celle-ci avait offert une prestation efficace dans La Chute de l’empire américain, de Denys Arcand, en 2018.
Or, de l’eau a coulé sous les ponts, et bien des publications ont déferlé sur les réseaux sociaux depuis quatre ans.
Il devient difficile, même avec toute la bonne volonté du monde, de faire abstraction de ce brouhaha ambiant en regardant Arlette.
Oui, le personnage collait peut-être à la peau de Maripier en raison d’un parallèle dans les parcours. Son Arlette est catapultée dans le monde impitoyable de la politique et doit prouver ses compétences dans une meute de loups prêts à la dévorer d’une critique acerbe, dénigrant ses aptitudes au profit de sa fière allure. Une réalité à laquelle l’ex-candidate d’Occupation double a dû elle-même faire face lorsqu’est venu le temps de faire sa place dans le milieu artistique québécois, de s’imposer comme animatrice et comédienne dans les 10 dernières années.
Maripier a la gueule et le front de bœuf qui siéent parfaitement à son alter ego cinématographique et qui le rendent attachant. Son indéniable beauté physique complète le portrait d’une Arlette qui ne laisse personne indifférent. Sa présence au cœur d’Arlette se justifie. Maripier offre un bon spectacle et déplace de l’air.
Mais, on le répète, il est ardu de croire à l’art quand les manchettes prennent le dessus. Quand l’aura de la vedette controversée transcende tout le reste.
Il sera probablement intéressant de revisionner Arlette dans deux ou trois ans, quand le tumulte médiatique sera bel et bien derrière Maripier, pour juger complètement objectivement et impartialement de son travail sous la direction de Mariloup Wolfe. Autrement dit, faudra retrouver un peu de silence pour mieux apprécier les nuances.
Arlette prend l’affiche au cinéma vendredi, le 5 août.
3 questions à Marie Vien, scénariste d’Arlette
Quelles étaient vos intentions en écrivant ce scénario?
«Dans les années 1990, j’ai été l’attachée de presse de Madame Liza Frulla [alors ministre de la Culture dans le gouvernement libéral de Daniel Johnson fils]. De là m’est venue l’inspiration d’écrire cette comédie dramatique, des années plus tard. La première chose qui m’est venue en tête, c’est que le Québec est une nation qui se définit d’abord par sa langue et sa culture, mais ce n’est pas un pays avec une armée et des relations internationales. Il était donc clair, pour moi, que la culture serait au centre de l’histoire. Et, mon point de vue, c’est que le monde de la politique n’a pas évolué depuis la mort de Louis XIV. On vit dans un grand jeu de cour, à l’Assemblée nationale, avec ses codes monarchiques établis depuis des lustres. Pour moi, c’était clair que le film serait tissé de références monarchiques ou d’allégories, comme l’affiche du film, où Maripier siège sur un trône. Cela dit, je tiens à préciser qu’Arlette n’est pas Liza Frulla.»
Est-ce que le film comporte une critique féministe?
«C’est une satire politique qui comporte plusieurs références. Encore aujourd’hui, les femmes se font ridiculiser en Chambre ou en commission parlementaire. C’est encore très difficile pour les femmes d’être en politique. Donc, oui, il y a une critique féministe. Notamment cette fameuse phrase d’Arlette, au début du film, qui dit qu’on ne devient pas ministre, on le devient; c’est un clin d’œil à Simone de Beauvoir, qui avait dit : « On ne naît pas femme : on le devient ». Tout le film est aussi truffé du bagout de cette jeune Arlette qui ne s’en laisse pas imposer.»
Croyez-vous que la classe politique pourrait grincer des dents en regardant le film?
«Tous partis confondus – car on n’identifie aucun parti dans le film –, une ministre de la Culture va souvent prendre conscience que la culture n’est pas aussi importante que le ministère de la Santé ou des Finances. On ne se leurrera pas; ce sont surtout des femmes qui ont été ministres de la Culture au Québec, à l’exception de quelques hommes, comme le tout premier, Georges-Émile Lapalme, en 1961. Dans Arlette, la Culture décide qu’elle devient aussi importante que les Finances. Les politiciens risquent de reconnaître les coups bas, le fait d’être ridiculisé; il faut avoir la couenne dure! Un politicien doit apprendre à se détacher de son rôle. Car, en politique, on joue un rôle; on est Monsieur le Ministre ou Madame la Ministre. À ce niveau, plusieurs politiciens vont se retrouver.»