«Combien de temps faut-il pour qu’une voix atteigne l’autre?» On ne pouvait rêver titre plus poétique pour cette nouvelle exposition du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), présentée jusqu’au 13 février 2022. Inspirée par ces vers de la poétesse Carolyn Forché, gravés sur le sol du musée dans le cadre d’une installation de l’artiste Betty Goodwin, la conservatrice Mary-Dailey Desmarais a réuni plusieurs œuvres d’art qui interrogent la notion de dialogue.
L’inspiration peut surgir n’importe où, et même sur son lieu de travail. C’est le cas de la conservatrice en chef du Musée des beaux-arts, Mary-Dailey Desmarais, qui a eu l’idée de mettre en place cette exposition alors qu’elle traversait la Promenade du Musée. «Je me suis dit que c’était une question parfaite après toute cette période d’isolement que l’on a vécu, marquée par un certain trouble social», explique la conservatrice.
Un gigantesque mégaphone accueille les spectateurs à l’entrée de l’exposition. Avec cette œuvre de l’artiste anichinabée Rebecca Belmore. On peut entendre une bande sonore qui accompagne cette œuvre. Avec son immense porte-voix, l’artiste a invité des représentants, militants et poètes autochtones à parler de la terre, en réponse à la crise d’Oka.
Cette œuvre à la fois visuelle et sonore nous plonge immédiatement dans le thème de la parole. La suite de l’exposition est divisée en plusieurs salles, qui abordent la voix sous différents angles.
La voix en silence
On pourrait s’étonner du peu d’œuvres sonores que comporte l’exposition. Mais pour beaucoup, c’est un dialogue silencieux, suggéré, que l’on entend avec les yeux.
Au cours de l’exposition, la voix prend plusieurs sens. Elle peut être mystique et religieuse, à l’instar du Saint Joseph du peintre Jusepe de Ribera, qui, les yeux rivés vers le ciel, semble exalté par des paroles divines. En incluant des œuvres d’époques et de pays différents, le MBAM nous montre l’importance de la parole et des traditions orales des communautés.
Alors, pour remplacer le son, on passe par l’écriture, et ce, avec les CD silencieux aux titres poétiques de Raymond Gervais, avec la peinture, ou même avec le corps, comme dans les photographies de Geneviève Cadieux.
La voix engagée
Par le visuel, la voix des œuvres peut avoir une portée politique d’autant plus forte. Certaines sont particulièrement percutantes. Au centre d’une des pièces de l’exposition, l’artiste Shilpa Gupta présente, avec Car, dans ta langue, je n’ai pas ma place: 100 poètes emprisonnés, des livres de poésie en bronze, dont les auteurs, issus du monde entier, ont été mis en prison.
Une autre salle est entièrement consacrée à la sculpture de Stanley Février, Yes, We Love You, réalisée au lendemain de la mort de l’Afro-Américain Georges Floyd l’année dernière. Ici, l’artiste a repris la position de Georges Floyd au moment de sa mort, et a créé un moulage en plâtre. En plus de porter un message fort et de rendre hommage à cet homme, l’œuvre exprime la notion de la voix qui s’étouffe, que l’on n’entend plus.
La voix humaine
Que serait la parole sans le souffle? Ce dernier peut être en mouvement avec le respirateur artificiel de Rafael Lozano-Hemmer, dans Dernier soupir (Último Suspiro), qui fait aller et venir inlassablement le même souffle dans un tuyau jusqu’à un sac en papier.
Enfin, l’exposition se conclut en musique, avec Motet à quarante voix de Janet Cardiff. Une quarantaine de haut-parleurs diffusent chacun la voix d’un chanteur ou une chanteuse qui interprète sa partie du chœur pour quarante voix Spem in alium nunqam habui (Mon espoir je ne l’ai jamais mis en d’autres que toi), de Thomas Tallis.