Étirer la sauce
Il faudrait deux paires d’oreilles et quatre paires d’yeux pour suivre l’activité politique ces jours-ci. Les travaux de la commission Charbonneau ont repris, la Cour suprême entend les arguments sur l’éligibilité du juge Nadon, tout cela en direct. C’est sans compter la nouvelle minisérie : consultation publique sur la charte du Parti québécois. Ce dernier exercice a de quoi nous laisser perplexes.
On peut se demander à quoi servira tout ce branle-bas de combat au Salon rouge. Dans sa tournée médiatique préconsultation, le ministre responsable Bernard Drainville a montré peu d’ouverture. Il a affirmé que le gouvernement sera ferme sur les principes; pas question de diluer le contenu de la charte. «Les signes religieux, c’est fondamental. C’est le visage de la neutralité», clame-t-il.
Pourtant, la majeure partie du projet de loi 60 fait l’unanimité et pourrait être adopté par l’Assemblée nationale. C’est justement l’article sur les signes religieux qui fait problème.
Alors, pourquoi mettre en place une consultation qui s’étirera sur plusieurs semaines si le ministre a déjà fait son lit? Est-ce pour amuser la galerie et éviter qu’on parle d’économie, de finances publiques ou de santé? Ce sont des dossiers où le gouvernement se trouve effectivement sur la défensive.
L’idée de mobiliser 270 personnes ou groupes avec 200 mémoires présentant leurs opinions, puis de ne pas en tenir compte, est un véritable gaspillage de temps et d’énergie. L’objectif de cet exercice devrait au moins être celui d’enrichir la réflexion qui vise à adopter une charte des valeurs consacrant la neutralité religieuse de l’État québécois. La préoccupation du gouvernement devrait être de modifier les irritants et d’assurer l’adhésion. On voit plutôt un ministre mettre de l’huile sur le feu et s’amuser aux dépens de la position évolutive des libéraux.
Petit retour en arrière. Tout ça a commencé avec la crise – réelle ou perçue – des accommodements raisonnables, qui devait donner naissance à la commission Bouchard-Taylor. Cette commission avait reçu 901 mémoires, ce qui en fait une des consultations les plus courues, classée deuxième derrière la commission nationale sur l’avenir du Québec de 1995, qui avait permis la production de 5 500 mémoires. Cela fait donc longtemps que ce débat fait rage, et plusieurs se sont exprimés.
Depuis le mois d’août, le mot «ostentatoire» est sur toutes les lèvres. Maintenant, plus de 250 personnes défileront au Salon rouge dans les prochaines semaines et livreront leur vision des choses. Normalement, cela devrait enrichir la réflexion mais dans ce cas-ci, on peut se demander si le jeu en vaut la chandelle.
Alors qu’une majorité des éléments du projet de loi pourrait être rapidement adoptée, tout porte à croire que le gouvernement ne veut qu’étirer la sauce jusqu’au printemps. Pour reprendre une expression chère à l’ancien premier ministre Bernard Landry, difficile de taire qu’on fait passer les intérêts du parti avant ceux de la patrie.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.