«Chien blanc»: s’attaquer au racisme
Chien blanc, nouveau long métrage d’Anaïs Barbeau-Lavalette qui a ouvert le festival Cinemania, ne pourrait être plus en phase avec notre époque. Il se déroule pourtant en 1968, aux États-Unis, dans la foulée du meurtre de Martin Luther King, alors que la ségrégation raciale met le pays à feu et à sang.
La cinéaste de La déesse des mouches à feu a adapté le roman éponyme de l’auteur Romain Gary, qui n’est peut-être pas l’une de ses œuvres les plus célèbres, mais certainement l’une de ses plus personnelles, souligne-t-elle en entrevue avec Métro.
Chien blanc, que le cinéaste états-unien Samuel Fuller avait précédemment adapté au cinéma en 1982, met en scène l’écrivain reconnu pour son humanisme et sa femme, l’actrice militante pour les droits civiques Jean Seberg (Kacey Rohl), qui recueillent dans leur demeure de Los Angeles un chien égaré.
Or, l’animal s’avère avoir été dressé pour attaquer les personnes noires, pratique abjecte datant de l’esclavagisme. Mais abattre la bête reviendrait aux yeux de Romain Gary à abdiquer devant la haine raciale qui empoisonne le pays, et à renoncer à tout espoir. Un maître-dresseur, Keys (K.C. Collins), tentera de le guérir du racisme que l’homme blanc lui a inculqué.
Denis Ménochet, l’humaniste
C’est Denis Ménochet qui se glisse dans la peau du «mastodonte de la littérature» tel que le décrit avec admiration Anaïs Barbeau-Lavalette. Elle a dû descendre l’écrivain de son piédestal afin d’en faire «un humain, un monsieur auquel on s’attache», raconte-t-elle.
Denis a cette ampleur et ce charisme incroyable, on croit au consul de France. Il est tellement à fleur de peau, poreux par rapport au reste du monde. C’est un vrai grand sensible, les injustices le grafignent. Romain, il est pareil.
Anaïs Barbeau-Lavalette, cinéaste de Chien blanc
«Je trouve son intelligence envoûtante», dit Denis Ménochet en entrevue avec Métro au sujet de son personnage. «Cette façon de voir le monde et d’en parler, au-delà de la poésie, c’est presque de la philosophie.»
Outre regarder toutes les entrevues de Romain Gary, il a considérablement travaillé le personnage avec la cinéaste. «Quand il embrasse un projet, il n’embrasse pas juste ses lignes. Il embrasse le scénario dans toute sa matière. Son travail est profond, richissime», souligne Anaïs Barbeau-Lavalette, qui est reconnaissante d’avoir pu adapter cette œuvre.
« Anaïs-Barbeau-Lavalette, c’est un cœur à pleins poumons, réplique Denis Ménochet. C’est de l’humain à l’état pur. Ça transpire dans le film. »
Comment être un bon allié?
C’est sur le plateau d’Inch’Allah, en 2012, que Valérie Beaugrand-Champagne (coscénariste du film avec Anaïs Barbeau-Lavalette) a mis Chien blanc entre les mains de la cinéaste, soulignant les assises communes entre le roman et le film qu’elle tournait, dans lequel une médecin québécoise tente d’être une alliée en plein conflit israélo-palestinien.
Comment être un.e bon.ne allié.e? Cette question, que se posent les protagonistes de Chien blanc, taraude Anaïs Barbeau-Lavalette depuis longtemps. «Cette lutte, c’est tout ce que nous avons. Laisse-la-nous», assène dans le film une mère noire endeuillée à son amie Jean Seberg.
«Je ne suis pas victime, alors je ne peux pas me battre!», s’indignera plus tard cette dernière. «Tout est dans la façon de se battre», lui répondra son mari.
Afin de montrer la révolte qui grondait aux États-Unis, les sévices infligés aux personnes noires, la réalisatrice a arrimé avec fluidité à la fiction des images d’archives bouleversantes: personnes noires battues en pleine rue, affiches éhontément racistes, pantins évoquant la pendaison, armées du KKK….
« Les archives aident à raconter l’histoire de ceux dont je ne me permets pas de raconter l’histoire », indique Anaïs Barbeau-Lavalette.
À la fin du film, des archives des années 60 se fondent à celles, tout aussi violentes envers les personnes afro-descendantes, de manifestations du mouvement Black Lives Matter. Comme quoi les questionnements de Chien blanc sont cruellement d’actualité.
«On se rappellera de Trump qui avait dit: “Lâchez les chiens!” durant les manifestations», se souvient la cinéaste, dégoûtée.
Tournage difficile
Le tournage de Chien blanc s’est révélé extrêmement ardu, notamment en raison de la COVID-19 – au point où Anaïs Barbeau-Lavalette a remis en question son avenir de cinéaste, admet-elle.
Elle se souvient de Denis Ménochet et elle répétant de balcon à balcon à partir de chambres attenantes durant ses deux semaines de quarantaine. «C’était surréaliste! laisse tomber la réalisatrice chevronnée. J’étais sur un ring. C’était toutes des batailles qui normalement n’appartiennent pas à la création d’un film.»
Une fois le tournage bouclé, guère étonnant que l’autrice de Femme forêt et de La femme qui fuit ait ressenti le besoin de s’immerger dans une écriture plus intérieure, donnant naissance à l’enivrant roman Femme fleuve, paru plus tôt cet automne.
La gravité du sujet de Chien blanc a bien entendu contribué à la complexité du tournage. «Post-Black Lives Matter appelle à revoir comment on aborde les questions raciales, souligne Anaïs Barbeau-Lavalette. Comme Blanche, je renvoie le miroir au public blanc pour nous renvoyer nos privilèges.»
D’ailleurs, du scénario à la postproduction, la réalisatrice a collaboré avec des consultant.e.s afro-descendant.e.s, dont Will Prosper. Une méthode hyper enrichissante qui devrait être courante, estime-t-elle.
«Ils n’étaient pas là pour lisser ou moraliser le propos, mais pour ajouter de la profondeur et me pointer mes angles morts afin d’éviter de mettre en scène des archétypes de l’expérience noire. Le film est plus profond et plus sensible grâce à eux.»
Chien blanc
D’Anaïs Barbeau-Lavalette
En salle le 9 novembre