Les avocasseries de la Commission Charbonneau

Extrait du Code de déontologie du Barreau du Québec

SECTION II
DEVOIRS GÉNÉRAUX ET OBLIGATIONS ENVERS LE PUBLIC

2.00.01. L’avocat doit agir avec dignité, intégrité, honneur, respect, modération et courtoisie.

Quel devrait être le rôle d’un avocat dans une Commission d’enquête?

Si les témoins qui ont vu de près les combines les plus louches se font traiter comme Jacques Duchesneau par les avocats des parties intervenantes à la Commission Charbonneau, plus personne ne voudra aller témoigner lorsque les audiences recommenceront cet automne. Et les trous de mémoire à la Jean Lafleur vont se multiplier.

L’avocat du ministère des Transports, Denis Houle, a été le premier à s’attaquer à la crédibilité du témoin Duchesneau. Ce n’était pas très élégant.

C’est vrai que monsieur Duchesneau semble décidé à donner une bonne performance devant les caméras. Peut-on le lui reprocher? Depuis le début, il n’a reçu qu’un appui de façade du gouvernement, qui a voulu l’utiliser comme caution morale en lui donnant le moins de moyens possible. Si Jacques Duchesneau n’avait pas eu le culot de faire couler son rapport aux journalistes, on en serait encore probablement à attendre une commission d’enquête.

Il est particulièrement insultant envers notre intelligence collective que Denis Houle ait suggéré que Duchesneau n’ait basé son rapport que sur quelques situations anecdotiques. Deux maires ou ex-maires ont déjà fait l’objet d’accusations criminelles; trois membres de l’ex-garde rapprochée du maire de Montréal se sont fait sortir du lit menottes au poing il y a quelques semaines; on sait que des entrepreneurs se divisent le territoire de Montréal et que le crime organisé n’est pas loin pour ceux qui oseraient défier l’ordre établi. Ajoutez à cela les autres arrestations d’ingénieurs, avocats ou organisateurs en lien avec des élections « clé en main », et les cas de contournement de la loi électorale que le Parti libéral et le Parti québécois ont reconnu.

Ce n’est pas assez? Tout ça ne serait que des cas isolés?

À la limite, on peut comprendre le réflexe du ministère du Transport de chercher d’abord à se couvrir les fesses. Faudrait peut-être rappeler à certains la notion de service public, mais bon. Naïf suis-je.

***

Si la posture du ministère du Transport est déplaisante, celle du Parti québécois, par son avocate Estelle Tremblay, est franchement surréelle.

Le PQ a fait ses choux gras depuis deux ans des averses de scandales qui ont plu sur la tête des libéraux. Maintenant que le témoin-clé – celui qui sera le lien vers tous les autres – est en boîte, on lui rentre dedans comme s’il s’agissait d’un vulgaire fabulateur. L’avocate Tremblay a été si agressive dans son contre-interrogatoire que la juge Charbonneau a dû intervenir.

Quelle stratégie étrange.

Il est évident qu’on ne peut prendre tout ce qu’a dit Jacques Duchesneau comme parole d’évangile. En même temps, ce n’est pas sur son seul témoignage que tout va se décider. Le témoignage de Duchesneau et son rapport n’auront de valeur que s’ils sont corroborés et détaillés par plusieurs autres témoins.

Mais il est aussi vrai que le rapport Duchesneau, qui a été l’élément déclencheur de la mise en place d’une commission d’enquête, n’a pas été produit dans le but d’en alimenter les travaux, encore moins de permettre à cette commission de tirer ses conclusions. Autrement dit : il est normal que ce rapport ne soit pas une liste précise de suspects et de délits.

Le rapport de Jacques Duchesneau, une fois entre les mains d’un ministre à moitié décent, aurait normalement servi à alerter le politique sur ce qui se tramait. Le ministre aurait ensuite pu prendre les choses en main et initier les démarches nécessaires, par exemple une commission d’enquête.

Sam Hamad, titulaire des Transports à l’époque, n’était pas intéressé à entendre parler du rapport, encore moins de le lire ou même de lui toucher. Devant ce désintérêt aussi inexplicable que suspect, monsieur Duchesneau s’est tourné vers les médias, qui ont fait ce qu’ils font depuis maintenant presque trois ans, ajoutant chaque fois un peu plus de pression sur le gouvernement. Et le Québec a finalement eu la commission d’enquête qu’il réclamait de façon quasi-unanime.

Le Parti québécois et son avocate, qui devraient remercier Jacques Duchesneau, devraient aussi lui donner l’occasion de s’expliquer, même s’il exagère un peu, et même si son 70 % d’argent sale semble un peu gros. Ça serait décent, ça serait logique, ça serait même une bonne stratégie électorale. On attend de monsieur Duchesneau qu’il nous donne le portrait global. Pour les détails, il y aura d’autres témoins.

Il était par ailleurs tout aussi stupéfiant d’entendre Estelle Tremblay suggérer qu’il était « illégal » de la part de Jacques Duchesneau de continuer à solliciter des confidences une fois son mandat terminé.

Pardon?

Depuis quand faut-il demander l’autorisation du gouvernement afin de pouvoir enquêter sur des manœuvres douteuses qui auraient été commises par ses propres représentants? Tant qu’à y être, les journalistes devraient eux aussi demander la permission avant de publier des reportages embarrassants! Voilà toute une conception des contre-pouvoirs nécessaires dans une société démocratique!

***

On sait que le rôle d’un avocat est d’abord de défendre les intérêts de son client. Reste qu’une commission d’enquête n’est pas un procès et que le client, en bout de ligne, est ici l’ensemble des contribuables québécois qui font les frais d’un système qui semble gangrené jusqu’à la moelle osseuse.

Les avocats des parties intervenantes seraient bien avisés de se garder une petite gêne avant bousculer un peu trop les témoins qui pourraient les embêter. Ça pourrait d’ailleurs éviter des problèmes supplémentaires à ceux qu’ils représentent, si les révélations de la commission venaient à les éclabousser sérieusement.

En fait, la meilleure attitude serait probablement celle-ci : aidez-nous à faire le ménage. Montrez-nous les pommes pourries, même à l’intérieur de nos propres rangs.

Oui, la majorité des entrepreneurs, ingénieurs, fonctionnaires et politiciens sont certainement intègres. Ils n’ont donc rien à cacher, et seront les premiers heureux d’être débarrassés d’un système qui ternissait leur réputation, voire les mettait en danger.

Lorsque les travaux de la Commission Charbonneau seront terminés et que le rapport sera publié, le public fera la part entre ceux qui auront collaboré avec diligence et humilité, et ceux qui auront surtout cherché à noyer le poisson.

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