Les valises d'Eduardo

Nous sommes jeudi, devant la station Place-des-Arts. Il est 8 h 25. Une couronne de Noël qui ressemble à un gigantesque beigne au gazon est fixée à un gratte-ciel et domine le paysage. Les gens sont pressés. C’est le chaos matinal habituel intensifié par un besoin urgent de vacances et une patience générale assez limitée.

J’entre en trombe dans la station et tente laborieusement de me tailler un chemin vers les escaliers pas mobiles du tout puisque les escaliers roulants ne fonctionnent pas. Ils sont dans l’expectative d’un avenir meilleur. Et, comme nous sommes à l’époque des voux, je nous le souhaite. J’entame la descente comme une furie, mais je ralentis aussitôt et regarde furtivement par-dessus mon épaule. Il y a, en haut des escaliers, un homme perplexe.

Son embarras est causé par deux valises posées de chaque côté de lui, telles des parenthèses. Il est pris en sandwich entre ce qui semble contenir une vie. Je m’immobilise évaluant MON retard, MA fatigue, MON besoin urgent de vacances. Le festival du moi, moi, moi bat son plein. Gênée par cet excès de nombrilisme, je fais demi-tour. Au même instant, un jeune homme fait de même.

L’homme aux valises se prénomme Eduardo. Il a 75 ans et vient de Buenos Aires. Effectivement, son existence remplit à craquer son bagage puisqu’il vient s’installer ici. Le jeune homme et moi lui offrons notre aide. Tout au long du laborieux trajet, nous rions avec Eduardo qui, dans un français parfait, nous raconte comme il est heureux d’être ici. Nous lui demandons ce que ses valises contiennent pour être aussi lourdes. «Des boeufs argentins!» réplique Eduardo à la blague tout en se confondant en remerciements.

J’observe cet Argentin aux cheveux argentés, rigoleur et courageux. L’été commence à peine dans son pays et le voici ici, où l’hiver sévit. Que laisse-t-il derrière? Qu’espère-t-il devant? Le métro arrive. Nous aidons Eduardo à pousser les valises dans le wagon. Malheureusement, ni le jeune homme ni moi n’allons dans cette direction. Eduardo est seul à bord de sa nouvelle vie. Il nous envoie la main. Contrairement à ses valises, il semble tout léger.

Je sais qu’à partir de maintenant, chaque escalier roulant immobile le ramènera à mon souvenir. Et ça me fait sourire.

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.