L'oiseau du paradis

Chaque jeudi, la journaliste Julie Laferrière et l’humoriste, comédien et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur des usagers du transport en commun.

Autobus 51, direction est. On est samedi, 18 h 15. L’autobus roule sur la rue bordée de neige. À bord, une trentaine de passagers semblent rentrer, pour certains d’une longue journée de sport, et pour d’autres d’un rallye de magasinage. Il y a aussi quelques voyageurs chics, parfumés et bien coiffés. Ceux-là portent l’équipement adéquat pour affronter la soirée.

Le couple dans la cinquantaine assis en tandem à quelques bancs du mien fait partie de cette équipe. L’homme arbore une moustache taillée aussi minutieusement qu’un arbuste des jardins de Versailles et porte un long manteau noir. Sa dame est, elle aussi, vêtue d’un long manteau. Rouge pétant celui-là. Un rouge intense et proportionnel à la colère qui est sur le point d’exploser entre eux.

Mais pour le moment tout est calme.La dame tient un énorme bouquet de fleurs, au centre duquel trône un élégant oiseau du paradis prisonnier d’une cage de cellophane. Chaque fois que la dame bouge, et elle bouge beaucoup, l’homme se prend ledit bouquet emballé dans la gueule. La dame énervée dit : «Il faut descendre ici. Vite!» L’homme exaspéré, se massant le visage, dit en levant la voix : «Attention! Tu vas finir par me crever un oil!»

La dame inquiète se retourne vers la fenêtre en «caressant» violemment pour la centième fois visage et moustache. «C’était là qu’on devait descendre!» dit-elle en brandissant le bouquet. Monsieur n’en peut plus et se lève comme une tempête. Il empoigne l’arrangement floral par le cou. On dirait qu’il va étrangler le pauvre oiseau du paradis. Traînant la volaille exotique avec lui, il se dirige vers le chauffeur à qui il pose une question. 

Il revient aussi informé qu’humilié. Sa dame en rouge avait raison. Ils ont manqué l’arrêt. Madame reprend d’un geste brusque la gerbe de fleurs. L’oiseau du paradis ébouriffé commence à être franchement écouré de se faire ainsi malmener. Le couple descend en trombe à l’arrêt suivant. Je les vois par la fenêtre rebrousser chemin. Elle, devant, marchant d’un pas sec. Lui, derrière, adoptant une lenteur vexée. Et le pauvre oiseau défraîchi, lui, semble se dire qu’il est bien loin du paradis.

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