L'escargot

Autobus de la ligne 14, direction sud. 11 h 40. À l’arrêt Christophe-Colomb et Mont-Royal, entre une jeune femme. En fait, elle est précédée par 1-2-3-4 boîtes. Des cartons, qu’elle empilera ensuite en colonne chancelante, la précèdent. Elle paie son passage et déménage ses pénates vers la banquette la plus proche.

Il ne fait pas encore tout à fait chaud, mais elle, elle transpire. Les joues rougies par l’effort, elle pousse sa cargaison. Comme si cette dernière représentait une coquille d’escargot en pièces détachées. Sur ses boîtes, on peut lire : cuisine, chambre, divers et livres. Avec, chaque fois, la mention FRAGILE.

Je me demande un instant en quoi des livres peuvent être frêles et me réponds aussitôt : c’est vrai, certaines histoires sont plus délicates que d’autres. La jeune femme reprend son souffle, saisit son portable pour signifier à la boîte vocale de son interlocuteur que: «Oui, c’est moi, j’ai laissé la clé sous le tapis. Mon auto ne partait pas, alors j’ai pris l’autobus avec les dernières boîtes. Bon ben c’est ça… bye.»

Il y a dans ce «Bon-ben-c’est-ça-bye» toute la tristesse et la résignation du monde. Cinq petits mots banals qui semblent à eux seuls engloutir soudainement tout un continent. L’autobus arrête un peu brusquement coin du Parc-Lafontaine et Duluth. La pile chancelle. La jeune femme s’agite, transportant maintenant une à une ses quatre boîtes vers la porte arrière de son camion de déménagement improvisé.

Elle descendra à l’arrêt Ontario. Un homme lui offre de l’aide, qu’elle refuse gentiment. Elle n’a besoin de personne.  Les récits fragiles ne se retrouvent pas toujours dans des livres, rangés dans des boîtes. Parce que, parfois, ces histoires, elles s’écrivent devant nous.

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