Grammère

À bord de l’autobus qui descend doucement l’avenue du Parc nous, passagers, jouissons de la lumière jaune qui inonde la montagne. C’est splendide. Il devrait vraiment faire beau comme ça plus souvent!

Comme je me passe cette remarque, qui est aussi sincère qu’inutile, j’aperçois assise sur la banquette arrière une famille : un père et une mère dans la quarantaine, leur fille qui doit avoir environ 16 ans et un jeune homme qui pourrait être le chum de ladite jeune fille.  Cette dernière occupe la place centrale et tient entre ses mains une grammaire et un manuel de conjugaison. Je reconnais les livres à la couleur vert inoubliable des manuels Bescherelle. Toute la famille est penchée sur le casse-tête grammatical que peut parfois représenter la langue française.

En face de moi, un duo d’amis discute dans une langue qui, à mes oreilles, semble complexe. C’est magnifique et intense. Ils sont russes. Je l’affirme, car le premier, qui a demandé une gomme au second, dit «spasiba»,  signifiant «merci», comme il accueille la Juicy Fruit qui lui  est tendue. De biais, un  couple échange en espagnol. Ça, c’est du miel, l’espagnol. Comme l’italien, c’est suave, enivrant et enveloppant.

J’écoute cette trame sonore harmonieuse, composée de langages qui cohabitent si joliment dans l’autobus à cet instant. Je retourne à la famille concentrée, me demandant quel peut bien être son mode d’expression pour qu’elle soit si studieusement penchée sur ces livres austères.

J’obtiens ma réponse comme la mère prend la parole. Je suis très surprise, car l’idiome qu’elle emploie ne saurait être plus français que la France elle-même. «Mais ma chérie, tu vois bien, c’est écrit ici : « La virgule ne peut JAMAIS séparer les constituants essentiels d’une phrase… »» dit-elle avec l’accent parisien.

C’est vrai que, pour revendiquer une langue, il faut d’abord en respecter les constituants essentiels sans jamais mettre un point final à l’apprentissage qu’on en fait. Maîtriser parfaitement une langue, c’est l’histoire d’une vie. Même quand il s’agit de notre langue maternelle. Et c’est en me disant cela que je réalise pour la première fois que, phonétiquement, il y a le mot «mère» dans grammaire.

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.