Faut que jeunesse se passe
J’habite à côté d’un parc. Il est juste l’autre bord de la rue. Le jour, il y a souvent des enfants qui y jouent. Je trouve ça cool. Ça me fait un beau p’tit fond de vie pendant que je travaille. Ma fenêtre de bureau est VIP aux balançoires. L’autre soir, ou plutôt, l’autre nuit, c’est des grands enfants qui s’amusaient dans le parc. C’était moins «son d’ambiance», plus «son de déchéance».
Il était environ 2 h du matin. Oui, je suis un couche-tard. Faisait chaud, donc ma fenêtre VIP était ouverte. Tout d’un coup, j’ai commencé à entendre des cris, des rires. J’ouvre un peu mon rideau pour regarder. C’était une gang de jeunes de 15, 17 ans. Ils se balançaient avec l’entrain de quelqu’un qui voudrait que le «swing» le propulse sur la Lune, et criaient assez fort pour qu’on les entende arriver dessus. Bref, ils se «pétaient un time» en bon français.
Puis, je l’ai entendu. Au loin dans ma tête, assis sur sa chaise berçante, mon vieux grincheux intérieur. «Voyons, 2 h du matin… Ç’a pas d’allure! Y a du monde qui dorment.» Avec l’âge, il prend de plus en plus de place. Il a encore une place très restreinte dans ma tête, mais il est là. Y attend son heure de gloire, comme les p’tits poils dans mes oreilles. «Time will come!»
Heureusement, j’suis plus proche des jeunes que de mon vieux grincheux. Donc, rapidement, ma voix a repris le dessus : «Voyons, y a rien là. Des jeunes qui font des niaiseries de jeunes. J’en ai fait aussi. Faut que jeunesse se passe.» En effet. J’ai déjà fait exactement la même chose. On jouait même à la SUPER pétanque. On se mettait le plus loin possible du carré de sable, et on lançait les pétanques le plus haut et fort pour qu’elles tombent le plus près du milieu du carré de sable. Mais quand une pétanque tombait sur le rebord en bois du carré, ça faisait un POW de coup de canon qui résonnait, d’après moi, jusque dans le pyjama du monde qui dormaient autour. Bref, des niaiseries
de jeunes.
Reste que, même si ma voix «normale» a finalement pris le dessus, je ne l’avais jamais sentie aussi présente, ma voix de vieux. C’est comme Frodon qui entend de plus en plus la voix de Sauron à l’approche du Mordor, mais sans la capacité d’être invisible ni les gros pieds poilus.
À la longue, je ne sais pas qui va gagner. J’ai pas de nains, d’elfes, de vieux mage pour m’aider. Je suis seul. Bon en fait, c’est pas tout à fait vrai. L’aide que j’ai pour l’instant, c’est de ne pas avoir d’enfants, et ne pas avoir à me lever à 7 h le matin. Ouin, ça aide à être «cool». D’après moi, Sauron va prendre contrôle de la Terre du Milieu le jour où des jeunes qui crient dans un parc à 2 h du matin vont réveiller mon bébé. Ce jour-là, j’abdiquerai. Après tout, faut que vieillesse se passe.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.