De nada pour le vin
Je suis allé faire les vendanges. Pas les vidanges; ça, je faisais ça quant j’étais ti-cul. En rentrant de l’école le midi, le jour des vidanges, c’était jour de trésors. Ma mère se pouvait pu de me voir revenir avec des veilles affaires; une valise pétée, une lampe pétée, un VHS pété, une table pétée. C’était tout le temps pété, d’où le mot «vidanges». Mais en fin de semaine, c’était les vendanges. Un jour, vous allez peut-être boire un vin québécois qui aura été le fruit de mon dur labeur. Vous êtes mieux de finir votre verre.
C’était une première pour moi. Pour ma blonde française, c’était pas sa première fois, loin de là. Elle a déjà fait du 12 jours de file à 10 heures par jour. On a fait deux heures, et j’avais déjà des points dans le dos. Mais je ne suis pas à plaindre. Il faisait beau et chaud, les gens étaient sympathiques, et on a eu un super lunch. Couper des grappes de raisin, c’est «les pommes», mais pour adultes. La p’tite ferme et la décoration de citrouilles sont remplacées par des ciseaux et du vin.
Pendant que je remplissais mon seau, j’ai pensé à une image. Un montage photo que j’ai vu sur l’internet. Une famille de bourgeois chrétiens autour d’une table bien remplie qui prie. «Thank you Jesus for this food», qu’on peut lire. Puis, sur l’image en bas, on voit un Mexicain dans un champ. De nada. Une image vaut mille mots. Celle-là en vaut sept mille.
On, ou je, pense rarement au processus de notre nourriture, au travail que ça a pris pour que la patate, le raisin, la salade sortent de la terre et finissent dans notre assiette. Mais y’en a du monde qui bûche d’un bout à l’autre! Ceux qui plantent, ceux qui cueillent, ceux qui entreposent, ceux qui livrent, le commis qui place, la caissière qui reste debout huit heures au salaire minimum pour te vendre les produits. Bref, pour chaque bouchée, y a beaucoup de Jésus qui ont travaillé fort et se sont fait suer. Et moi, souvent je «checke», je juge : «Pas bon, pas beau.» Je jette facilement, rapidement à la maison. Ma blonde, elle, c’est un médecin du monde, elle donne une deuxième, une troisième vie à tout. Sauf aux élastiques à cheveux. Elle en cherche tout le temps! Elle doit avoir des spasmes et les jeter sans s’en rendre compte.
Maintenant que je sais c’est quoi travailler dans un champ pour le bien d’autrui, je vais peut-être faire plus attention. Jeter moins facilement. Maintenant, si un ti-cul archéologue amateur passe devant mes vidanges, il va peut-être trouver une lampe, une chaise pétée, mais pas de légumes poqués.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.