J’ai joué à «Monsieur Chin» avec une pute

«Benoit, ta tribune dans le journal devrait être occupée cette semaine. Tu peux écrire ton texte quand même mais il sera publié exclusivement sur notre site web.» Parfait. Tant qu’à être web, soyons web.

J’ai 11 ans. J’habite dans le quartier Villeray. Le vieux Villeray. Pas le nouveau Villeray qui est une extension de Rosemont, qui lui est une extension du Plateau, qui est une extension du cul d’Émile Nelligan. Dans le vieux Villeray, y’a pas de p’tits bars branchés genre Miss Villeray, y’a juste la Taverne Jarry. Y’a pas non plus de cafés indépendants, y’a Québec Déli, un Dunkin’ Donut, puis sur Saint-Denis, un buffet chinois gros comme une toilette chimique. C’est honnête, ça goûte ce que ça sent. Et, y’a moi. Un ti-cul de 11 ans qui aime se promener, lancer une balle de tennis sur des murs de briques dans les ruelles et jouer au basket sur le terrain en tapis, coin Lajeunesse.

Je sais que des connaissances de la famille viennent d’emménager prêt de chez nous. Un soir, pendant une de mes marches de santé, je décide d’aller leur rendre une p’tite visite surprise. «Ben! Entre.» J’entre. La salle à manger et le salon sont à aire ouverte. Sur le divan se trouve une fille. Plutôt une jeune femme, entre 25 et 30 ans. Ils ont Videoway! Je vais direct sur le divan prendre la télécommande. (Videoway, les jeunes, c’est un système de télé interactive qui… Ah pis fuck it. T’es sur le web, Google!)

Donc, je m’assois à côté de la jeune femme. On se dit un p’tit salut. Étant le garçon que j’étais, mes yeux et mon attention fusionnent rapidement avec la télé, laissant la jeune femme seule avec ses pensés. Je vais dans la section Jeux. Je lance, «Monsieur Chin». Un classique! Tu devais remplir des bâtons d’assiettes en les faisant tourner et finir le tableau sans en faire tomber. Bientôt sur PS4.

Mes yeux, mes réflexes sont dans la télé, mais mes oreilles sont un peu partout. J’entends la jeune femme me glisser quelques mots une fois de temps en temps. J’y réponds, sans dévier le regard de la télé. Mais j’entends surtout Denise (nom fictif), au téléphone. «On a Vanessa (déjà un nom fictif) 22 ans, blonde, 36 B. Julie, 25 ans, cheveux noirs, 34 B.» Jeune, mais pas naïf, je sais très bien que Denise ne prend pas des commandes de pizza en forme de sirènes.

La jeune femme à côté de moi semble de plus en plus gênée. Moi, je vais très bien. Je suis parfaitement conscient de ce qui se passe. Elle le sait, c’est pour ça la gêne. Mais moi, je n’en fais pas un cas. Bon, OK, ils gèrent des escortes, elle en est une. J’ai 11 ans, je n’ai pas d’affaire là. Big deal. Je continue ma game de «Monsieur Chin» un bout. À un moment donné, la jeune femme se lève, elle est «l’élue». «Bon, bien… à la prochaine Ben.» J’y dis salut. Shit! J’ai fait tomber une assiette! Pas longtemps après son départ, je me lève et quitte à mon tour. Ma mère ne l’a jamais su, et moi je n’y suis plus jamais allé.

Comment voir cette histoire-là? D’un point de vue humain, deux êtres vivants, un enfant un peu timide et une femme en survie ont partagé un moment enrobé de silence, de courts échanges, et c’était beau. D’un point de vue social, des adultes ont laissé un enfant de 11 ans dans un environnement vraiment inapproprié. D’un point de vue technologique, Videoway, c’était une bonne idée, mais mal réalisée. Finalement, d’un point de vue humoristique, j’ai joué à «Monsieur Chin» avec une pute. À vous de voir.

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