Les criminels
Je me souviendrai toujours de cette image: en pleine campagne électorale présidentielle, Obama et McCain, parlant d’une seule voix pour affirmer la nécessité de sauver la finance américaine sur le point de s’effondrer. C’était il y a six ans jour pour jour.
J’étais étonnée de les voir unis, alors qu’ils se tiraient des tomates depuis des mois. Je prenais alors la mesure de la sévérité du drame économique qui se déployait. Il fallait sauver les banques sinon le monde allait exploser. Le grand démocrate Obama le disait, alors ça devait être vrai. Le Congrès américain aussi leur a fait confiance et a octroyé 700G$ aux banques pour éponger leurs dettes.
Aujourd’hui, on connaît la vraie histoire. Le pouvoir politique était l’otage des banques. Henry Paulson, secrétaire au Trésor des États-Unis, qui s’avérait être l’ancien président de la banque Goldman Sachs, a orchestré le plan et a argumenté la nécessité de ce sauvetage pour l’intérêt public.
Bien qu’une partie des banques aient remboursé les sommes reçues, nombre d’entre elles n’ont pas employé ces montants à leur fin prévue: relancer en prêtant aux entreprises. Une enquête menée par le New York Times en 2009 a révélé qu’une majorité des banques ont utilisé la manne pour éponger leurs dettes, acquérir d’autres entreprises, continuer de spéculer et s’offrir des bonis. En injectant des milliards dans les coffres des plus grandes banques, le programme a eu l’effet de renforcer les pratiques de l’industrie à l’origine de la crise.
On sait maintenant que la crise financière s’est transformée en crise économique, avec ses millions de pertes d’emploi, de maison, de dignité. Elle s’est propagée et a fait basculer plusieurs pays européens dans une profonde crise des finances publiques. À nouveau, pour sauver les banques, on a dépensé de l’argent public et, pour compenser, on a coupé dans les programmes sociaux.
Le sauvetage d’une entreprise, les Américains appellent ça un «bailout». Ce qui n’est pas sans ironie, car en anglais le mot «bail» réfère à la caution qu’on paie pour permettre à un présumé criminel de sortir de prison en attendant son procès.
Sauf que dans le cas des banques, il n’y a eu aucune poursuite criminelle contre ceux qui ont conçu et vendu les produits financiers toxiques à l’origine de la crise. Les banques frauduleuses, poursuivies par le gouvernement américain, ont réglé leurs affaires hors cour en payant des indemnités. Les négociations ont eu lieu derrière des portes closes. Aucun individu n’a été poursuivi au criminel.
Les proportions de cette arnaque dépassent l’entendement. Pas seulement à cause des sommes en jeu ou de l’impunité des coupables, mais parce qu’elle a montré qu’une poignée d’individus peut contrôler un gouvernement. Et que des compagnies peuvent prétendre être si importantes qu’il faut les sauver à tout prix. Il n’y a eu aucun «bailout» pour l’Américain moyen qui croule sous le poids de ses dettes.
Ça fait six ans. C’est de l’histoire ancienne. Pourquoi en reparler? Parce que l’histoire a une fâcheuse tendance à se répéter. À moins qu’on en tire des leçons.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.