Espaces publics: Le souper
Tout le monde parle de TransCanada et de son projet de pipeline. En lisant un article à ce sujet, je suis tombée sur un chiffre qui m’a fait tomber de ma chaise. Je ne parle pas des près de 400 000$ collectés par la campagne «Coule pas chez nous» pour soutenir les citoyens qui réclament un débat sur la construction du pipeline.
C’est plutôt le chiffre de 20 000$ qui m’a sidérée. Saviez-vous qu’une entreprise peut payer pour rencontrer les premiers ministres des provinces lors de la réunion annuelle du Conseil de la fédération? Pour la modique somme de 20 000$, une entreprise peut s’inviter à un souper de réseautage qui réunit tous les premiers ministres du Canada. C’est une forme de lobbying.
Dans la loi québécoise, le terme lobbying renvoie aux «communications orales ou écrites avec un titulaire d’une charge publique en vue d’influencer […] la prise de décisions». Cette influence est censée permettre aux élus de prendre des décisions plus éclairées, dans l’intérêt collectif.
La pratique du lobbying est donc non seulement parfaitement légale, mais fait partie intégrante de notre système démocratique.
Sauf que cette capacité d’influencer ne devrait pas être réservée à ceux qui ont les moyens de se payer un souper à 20 000$. De plus en plus, les citoyens veulent aussi se faire entendre. Les manifestations qu’ils organisent sont leur lobbying à eux. Ces pratiques sont aussi légitimes que celles qui ont lieu dans les coulisses des parlements.
Il me semble que la collecte éclair de 400 000$ pour soutenir les initiatives citoyennes est le signe d’une transformation de notre système politique. Les mobilisations citoyennes qui se multiplient à vue d’œil sont une réaction au sentiment qu’il y a un déficit de démocratie dans nos institutions publiques. Ces dernières ne réussissent pas à répondre de façon constructive à la demande croissante des citoyens à être entendus. Alors les citoyens trouvent des moyens à leur portée.
On pourrait souhaiter que, plutôt que d’attendre qu’une grogne généralisée s’exprime, les gouvernements fassent une plus grande place à la participation des citoyens en amont de leurs décisions. Les décisions prises par les gouvernements pourraient ainsi suivre des balises identifiées à la suite de délibérations citoyennes, pour mieux répondre aux besoins de leurs commettants et avoir un impact positif sur le développement économique et social.
En attendant, il y a la rue. Dans les prochaines semaines, des citoyens manifesteront partout au Québec, sur ce sujet et sur bien d’autres, en attendant qu’on pense à les inviter à souper.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.