Voix éteintes en Méditerranée

C’est une évidence. Elle saute aux yeux. Dans l’indifférence générale, des milliers de migrants meurent tous les ans en Méditerranée, alors qu’il y a une quarantaine d’années, la mobilisation était planétaire pour sauver les boat people vietnamiens fuyant le communisme.

Les élites intellectuelles et politiques s’étaient empressées d’aller au secours des rescapés de la mer de Chine. Plus d’un million de Vietnamiens ont ainsi été accueillis au Canada, aux États-Unis, en France et en Australie. Majoritairement Noirs et musulmans, les candidats à l’exil traversant la Méditerranée ont moins de chance.

Bien sûr, comparaison n’est pas raison : des réfugiés d’un côté, des clandestins de l’autre. De plus, l’Europe ne peut accueillir toute la misère du monde, souvent causée par la gabegie, la corruption, les guerres, les sécheresses… Elles font de l’Afrique le con­tinent le plus pauvre de la planète, malgré ses innombrables richesses naturelles.

Mais l’Occident a aussi sa part de responsabilité. Son aventure guerrière en Libye il y a trois ans a transformé ce pays en véritable trou noir, d’où partent les embarcations de la mort qui font de la Méditerranée une gigantesque fosse commune.
Il aura fallu les naufrages à répétition pour mettre fin pendant quelques jours à ce que le pape François qualifie de «mondialisation de l’indifférence».

Mais où sont les mobilisations politiques et citoyennes pour aider les 200 000 personnes ayant risqué leur vie l’an dernier pour atteindre la «forteresse Europe»? Le scénario était différent à la fin de la guerre du Vietnam. Il est vrai qu’il y avait alors deux mondes bien définis : libre d’un côté, communiste de l’autre. Bon et méchant. C’était un devoir politique que d’accueillir ceux qui fuyaient l’enfer rouge.

La tragédie quotidienne qui se joue en Méditerranée est à la fois politique, économique et humanitaire. Bon nombre de pays européens, bataillant contre la récession et le chômage, ont des rendez-vous électoraux cette année et les partis racistes ne sont pas loin. Il ont sans doute comme livre de chevet Le camp des saints de Jean Raspail. Dans ce roman brûlot paru en 1973 et édité une dizaine de fois, l’auteur imaginait le débarquement apocalyptique sur la Côte d’Azur d’un million d’immigrants du Tiers-Monde, poussés par la faim, les guerres et la misère.

Comment, par ailleurs, faire fi des problèmes d’insertion et de cohabitation avec les immigrés déjà présents? Fermer les frontières? Les États-Unis insulaires n’y arrivent pas. S’attaquer aux passeurs, qualifiés de «terroristes» par François Hollande? Des milliers d’entre eux ont déjà été arrêtés, mais cela n’a pas mis fin à la série noire des naufrages. Établir un blocus maritime au large des côtes libyennes?

Pourquoi pas des relations économiques moins inéquitables entre l’Union européenne et l’Afrique? Les solutions miracles n’existent pas. Surtout quand la faim et le désespoir atteignent des sommets. Alors pourquoi pas un minimum d’humanité? Comme ce fut le cas pour les boat people vietnamiens.

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