Voir ailleurs, partie 2
Lors de mon séjour à New York cet été, j’ai fait l’étonnante découverte du nouveau maire progressiste Bill de Blasio. Une véritable curiosité aux États-Unis, ce pays allergique à l’intervention de l’État. Depuis qu’il est au pouvoir, de Blasio a mis en place une foule de petites réformes pour réduire les inégalités sociales et économiques entre les New-Yorkais.
Un maire motivé par une idéologie forte n’est pas chose rare aux États-Unis, où les politiciens municipaux sont issus des partis nationaux. Ce qui ne veut pas dire qu’ils parlent d’une seule voix. Quand de Blasio, maire démocrate, a voulu instaurer un programme universel de garderies publiques, il a demandé au gouverneur de l’État, Andrew Cuomo, lui aussi démocrate, de le financer en augmentant les impôts des plus riches. Cuomo a refusé la ponction fiscale. Il a néanmoins fourni le budget nécessaire pour démarrer le programme. Depuis l’automne dernier, la ville fournit donc un service de garde public universel.
Lors de sa campagne électorale, de Blasio avait promis que la Ville rapatrierait le pouvoir de fixer son propre salaire minimum, qu’il espère faire monter à 15 $ l’heure. Lorsqu’il en a fait la demande au gouverneur, il s’est poliment fait revirer de bord. Frères ennemis dans le même parti, ils sont à couteaux tirés sur plusieurs enjeux de taille. Mais la vraie bataille du maire est contre les puissants intérêts économiques qui dominent la ville, en particulier les propriétaires fonciers.
L’immobilier, c’est l’activité économique numéro un. Soumis à la loi de l’offre et de la demande, le prix de l’immobilier ne peut qu’augmenter dans l’une des villes les plus prisées au monde. Dans le petit quartier de Brooklyn où j’ai logé, le «dep» du coin annonçait sa fermeture imminente si le propriétaire de l’édifice n’annulait pas son augmentation de loyer de 150 %. Ce quartier est récemment devenu populaire auprès de la classe moyenne élevée, qui attire avec elle des commerces haut de gamme. Les propriétaires fonciers flairent la bonne affaire. Les petits dépanneurs tenus depuis toujours par des familles d’immigrants deviennent soudainement encombrants dans la course aux profits.
Le journal Métro de New York titrait récemment : «De Blasio bat le record de nouveaux logements abordables.» Le maire veut fournir 200 000 nouveaux logements abordables au cours des 10 prochaines années; il a déjà construit ou préservé 20 325 logements abordables depuis 12 mois, un record en 25 ans. C’est autant de logements qui ne pourront pas servir à renflouer les poches des promoteurs. Un véritable affront pour ces agents économiques habitués aux faveurs des deux derniers maires républicains.
Les efforts de de Blasio ont entraîné une baisse de sa cote de popularité — en moyenne : ses politiques ont en effet provoqué l’ire des classes aisées, tandis que les plus démunis et le secteur communautaire sont ravis d’avoir trouvé un allié en haut lieu.
Le maire de Blasio incarne une forme d’interventionnisme rare aux États-Unis. Il ne parle pas uniquement d’inégalités, mais aussi d’injustice économique, et l’État est, selon lui, responsable de faire justice.
Est-il l’exception qui confirme la règle, ou est-ce le signe d’un vent de changement à l’échelle du pays?
Il faudra attendre l’élection générale de 2016 pour le savoir.