De nos sursauts

La semaine dernière, j’avais l’intention de consacrer ma chronique aux réfugiés syriens. Je voulais profiter de cette tribune pour crier haut et fort à quel point mon cœur saignait de voir tant de souffrance. Je voulais participer au concert de témoignages d’indignation et de tristesse, parce que partager, ça soulage un peu. Mais le journal était en congé. J’ai dû attendre, y penser un peu plus avant d’écrire. Et c’est tant mieux.

Au début, j’étais fâchée de voir les premières photos qui circulaient sur les réseaux sociaux. Cela me semblait du voyeurisme indécent devant la mort. Et puis j’ai compris, comme bien des gens, le pouvoir de l’image : une seule photo a suscité une vague mondiale de compassion pour ces humains fuyant la guerre et la misère. L’opinion publique s’est emballée, forçant les dirigeants des pays du Nord à prendre position. L’image a aussi donné à des milliers d’individus et de communautés l’impulsion pour agir concrètement afin d’aider des familles dans la détresse. La publication des images avait, finalement, été bénéfique. Mais mon malaise ne s’est pas dissipé…

C’est que le pouvoir de l’image est à double tranchant. Un «événement médiatique», comme l’est la crise des réfugiés, aura une fin médiatique. C’est la nature de la bête que d’être cyclique. Les réfugiés ne cesseront pas d’exister, ils disparaîtront seulement de notre espace public, et nos gouvernements seront moins pressés d’agir.

Et à force d’être reprise, dessinée, caricaturée, photoshopée, transformée en slogans et même mise en scène (des gens au Maroc ont «reconstitué» la scène de cadavres échoués au bord d’une plage), la situation des réfugiés est devenue une sorte de cliché. Lorsqu’on fige un problème sous forme d’image, on cesse d’en voir la profondeur, la complexité, et les solutions qui nous viennent à l’esprit perdent elles aussi en complexité.

C’est d’ailleurs le cliché du «dangereux Arabe» qui fait craindre à bien des populations européennes (et à des Canadiens aussi) l’arrivée massive de réfugiés du Moyen-Orient. Et on devine que l’inertie des autorités canadiennes depuis plusieurs mois devant le drame des réfugiés s’explique surtout par une paranoïa sécuritaire qui a peu à voir avec la réalité, seulement cette peur irrationnelle nourrie par des stéréotypes, eux-mêmes le fruit de quelques événements médiatiques.

La compassion, comme la peur, est une émotion utile, mais elle ne devrait pas être le seul moteur de nos décisions politiques. L’émotion provoquée par une photo nous incite à vouloir soulager la douleur des souffrants, mais elle ne nous fait pas agir sur les causes. Ces causes sont politiques, géostratégiques et juridiques, elles devraient nous interpeller autant que la souffrance qu’elles engendrent. Dix millions de Syriens ont quitté leur maison. Près de cinq millions d’entre eux sont maintenant réfugiés. Et des millions d’autres personnes complètement démunies fuient l’Érythrée, l’Irak, l’Afghanistan, le Yémen, la Libye. Mais elles, on ne les a pas vues sur des images poignantes.

Notre action ne devrait pas seulement dépendre de nos sursauts médiatico-émotifs. L’émotion que nous avons collectivement ressentie ces dernières semaines devra céder le pas à l’action réfléchie, stratégique et structurelle, à une échelle massive. Je vous en reparle la semaine prochaine.

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