L’épouvantail

Ça y est, les réfugiés syriens annoncés et attendus, avec fébrilité et impatience pour certains, avec crainte et appréhension pour d’autres, ont commencé à arriver au Québec.

Au mois d’octobre, Maude et quatre de ses amis, voyant que le Canada allait ouvrir ses frontières à des milliers de réfugiés, ont décidé de mettre en branle un processus de parrainage privé d’une famille syrienne. Le groupe d’amis devra accompagner la famille dans ses démarches pour se loger, se vêtir, se nourrir, se transporter. Ils se porteront garants de leurs dépenses pendant une année entière. Des centaines d’autres Québécois ont fait comme eux.

Tout l’automne, les initiatives individuelles et collectives de soutien se sont multipliées. Des milliers de tuques ont été tricotées, «parce qu’au Québec, le seul véritable ennemi, c’est le froid». Les organismes d’aide aux réfugiés ont été inondés d’offres d’assistance.

Et pendant ce temps-là, une pétition a circulé demandant que le Canada refuse l’asile aux réfugiés fuyant la guerre. Sur les réseaux sociaux et dans certains médias, on a pu lire l’expression d’une forte méfiance, quand ce n’était pas carrément des messages haineux. Comment se fait-il que certaines personnes réagissent à l’accueil des réfugiés avec enthousiasme et que d’autres le redoutent? Pourquoi l’immigration provoque-t-elle des réactions si polarisées?

La peur des étrangers pourrait bien être le plus épineux de tous les préjugés humains, car il est étroitement lié à nos réflexes de survie. Les gens ont peur du manque. Ils redoutent qu’on leur retire quelque chose quand ils voient qu’on donne à d’autres.

Pourtant nous vivons dans une société d’une abondance inégalée; dans toute notre histoire, on n’a jamais été aussi riches collectivement. Quoiqu’en disent nos dirigeants, nous n’avons pas un problème de ressources. Mais les discours sur la rareté des richesses ont pris d’assaut l’espace public.

De récentes recherches en biologie de l’évolution montrent que les humains sont faits pour ressentir de la compassion pour les autres. L’empathie est fondée sur notre expérience commune en tant qu’êtres humains: la vie n’est pas facile et on va tous mourir un jour. L’empathie est ce qui nous permet d’élargir notre sensibilité au-delà de notre petit cercle privé. C’est un sentiment inné, mais qui faiblit facilement sous l’effet de la peur. Il faut l’encourager, le nourrir.

Le maire de Québec, Régis Labeaume, a déclaré: «Les gens ont peur, sont inquiets. Est-ce qu’en disant n’ayez pas peur, on arrête la peur? Moi, je pense que non; c’est pas comme ça que ça marche.» Oui, c’est exactement comme ça que ça marche.

La job des dirigeants, c’est de faire appel au meilleur des gens, pas de nourrir leurs angoisses. Dans sa pire forme, cette pratique instrumentalise la peur à des fins électorales. Donald Trump ou Marine Le Pen incitent les électeurs à se solidariser autour d’eux — contre les autres. Ils suscitent l’appartenance à leur clique en bricolant un ennemi à craindre ou à combattre. On peut espérer que ces stratégies ne fassent pas d’émules chez nous. Il nous faut résister à la peur.

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