Les «anti-bilingues» en prennent pour leur rhume
Le groupe rap Dead Obies qui perd une subvention parce que ses paroles ne sont pas assez francophones; l’humoriste Sugar Sammy qui donne un spectacle en français à Toronto; le lancement, fin février, du manifeste «anti-anti-bilinguisme» du journaliste Marc Cassivi… Les étoiles se sont alignées dans les dernières semaines pour faire rayonner le Québec et son rapport à la langue dans les médias anglophones canadiens.
Le National Post a réuni ces trois sujets dans un seul reportage jeudi sous le titre un brin racoleur (et pas tout à fait juste) : How a comedian, a rap group and a separatist critic are slaying a sacred cow: Quebec’s language rules. (En français : Comment un humoriste, un groupe rap et un critique séparatiste tuent une vache sacrée : les règles linguistiques du Québec).
Pour tous ceux qui ont regardé les derniers épisodes de Tout le monde en parle, le National Post ne révèle rien de bien neuf en ce qui concerne l’opinion des Dead Obies par rapport à leurs détracteurs ou celle de Marc Cassivi au sujet de certains nationalistes québécois. Le reportage omet toutefois quelques détails.
S’il est juste de rapporter que Marc Cassivi critique vertement «les chevaliers de l’apocalypse linguistique», il n’est pas futile de rappeler que l’auteur défend aussi dans son livre le caractère nécessaire de la loi 101 pour protéger le fait français au Québec. Pas exactement un «assassinat» des règles linguistiques…
Et oui, les Dead Obies ont perdu une subvention (issue d’un programme fédéral, soit dit en passant) en raison d’un décompte bêtement mathématique des mots contenus dans leurs textes. La subvention «francophone» de Musicaction a été refusée aux Dead Obies en raison d’une trop forte présence de l’anglais; la subvention «anglophone» équivalente leur est inaccessible en raison d’une trop forte présence du français. Peut-être, comme le dit dans le reportage le chanteur Yes McCann à propos du conservatisme linguistique, que «beaucoup de jeunes se fatiguent du Québec, et c’est comme ça qu’on tue une culture». Mais il ne faut tout de même pas occulter le fait que l’art des Dead Obies est foncièrement inclassable. Pour le hip-hop comme pour les critères d’octroi des subventions, il échappe aux catégories pré-établies. Est-ce réellement un problème québécois?
C’est dans le Toronto Sun que le spectacle francophone de Sugar Sammy, donné samedi soir dans la Ville-Reine dans la cadre de La Semaine de la Francophonie, a donné lieu à d’édifiantes réflexions sur la langue et la politique au Québec. Entre une critique de l’Office québécois de la langue française et un énième rappel de la citation post-référendaire de Jacques Parizeau sur le «vote ethnique», l’humoriste a improvisé un nouveau gag. Questionné à savoir s’il aurait pu se retrouver en prison à la suite de la plainte déposée contre lui en 2014 pour l’enseigne rédigée majoritairement en anglais de son spectacle En français SVP!, Samir Khoullar a imaginé ce dialogue fictif :
«“I’m here for murder, what are you here for?” – “I’m here for posting an English sign.” You know you’d be the first guy raped in prison.»
Traduction libre : «“Je suis ici pour meurtre, et toi?” – “Je suis ici pour avoir affiché un panneau en anglais.” Tu sais que tu serais le premier à te faire violer en prison.»
Pour les lecteurs en quête de propos nuancés, il fallait plutôt lire la semaine dernière la chronique du columnist Dan Delmar dans la Gazette (Fearful ‘antibilinguals’ are holding Canada back). Le journaliste montréalais y rappelait que le Québec n’a pas le monopole des polémiques linguistiques et que l’irrespect du bilinguisme constitue une nuisance pour le Canada, peu importe où il prend forme.
Outre le radicalisme de certains commentateurs québécois, il évoque le cas du riche entrepreneur Kevin O’Leary, ce Montréalais unilingue anglophone qui songe à briguer la chefferie du Parti conservateur du Canada tout en admettant publiquement ne pas voir la nécessité d’apprendre le français. «Il est alarmant d’entendre les argumentaires passionnés de la part de certains leaders canadiens qui dénigrent l’ouverture à l’une ou l’autre des langues officielles du Canada, explique Dan Delmar. C’est une attitude destructive, aussi laide et irrationnelle en anglais qu’en français.»