Le courage de se dire

Photo: Milton Fernandes

Par Jo Redwitch, camelot métro Berri-uqam, et McGill / Square Phillips

Tout le monde a son idée sur la prostitution. J’ai été travailleuse du sexe dans les clubs de danseuses pendant de nombreuses années. Je l’ai fait de façon consciente et déterminée. Pour moi, ce n’était pas de l’exploitation mais un travail autonome, malheureusement encore stigmatisé aujourd’hui.

La prostitution est un mot qui évolue avec le temps et la société.  Certains jugent sans rien connaître de ce monde parallèle. On se laisse guider par le discours médiatique qui nous montre souvent son côté le plus sombre : ces temps-ci, les jeunes filles qui fuguent et se font exploiter par les gangs de rues.

Je sais que ce phénomène existe et que c’est important d’en informer la population, mais faut-il toujours être dans le sensationnalisme ?  Selon moi,  les nouvelles dispositions de la Loi sur la protection des collectivités et des victimes d’exploitation ne sont pas adéquates à la réalité du travail du sexe. L’ignorance et les préjugés ne font qu’aggraver la stigmatisation. Pour défaire ce nœud d’incompréhension, cela prend des TDS qui osent se dire et exposer clairement leur point de vue.

Les belles années
J’ai commencé à danser pour l’argent et la liberté il y a une vingtaine d’années, à une période lucrative et amusante. Chaque soir, nous avions l’illusion d’être des stars du spectacle, et j’adorais les aspects physique et artistique du pole dancing.

Nous étions à la fois compétitives et solidaires, contrairement à ce qu’on peut voir aujourd’hui. L’alcool coulait à flot et la boucane de joints était dans l’air en permanence.  Nous étions pour la plupart des indépendantes, nous n’avions pas de pimps. Nous devions payer 15 $ pour le « service bar » au début de notre journée de travail, ce qui nous donnait le droit de danser. Les danses coûtaient 10 $ au client, le temps d’une chanson, une somme qui allait directement dans nos poches. Certaines filles passaient par des agences, qui récupéraient une partie de l’argent collecté par le bar. Nous travaillions avec des gens organisés qui respectaient entièrement notre liberté. Nous pouvions changer de club comme on change de string. C’est ce sentiment de liberté qui m’a fait rester sous les black lights si longtemps.

C’est juste avant que ces danses contact deviennent légales, la loi les considérant désormais comme du divertissement, que j’ai pris une décision qui a changé le cours de mon existence : rejoindre les clubs de danseuses où la prostitution était officieusement permise dans les isoloirs. Nous devions faire vite car nous étions payées au service et non à l’heure. Le temps, c’était de l’argent, et il fallait certaines aptitudes pour faire sa place dans ce milieu.

Mon métier : danseuse à gaffes
Quand j’étais courtisane de club, ou « danseuse à gaffes », je connaissais l’art de la séduction, l’analyse rapide du client, l’écoute, je fixais mes limites et j’avais un bon discernement. Mais c’est avant tout en respectant mes clients que j’ai pu passer au travers sans trop de dommages psychologiques. J’ai toujours su aussi garder en tête que c’était un travail à part entière et qu’il était primordial de bien différencier ma vie professionnelle de ma vie intime et amoureuse.

C’est dans les derniers milles de ma carrière que j’ai ouvert les yeux et que j’ai compris que les filles comme moi sont utiles dans la société. Certains clients ont de drôles de fantasmes et ont besoin d’un endroit où les assouvir.  Les dépendants au sexe, les personnes  qui ne veulent ou ne peuvent s’engager dans une relation intime, ont aussi des besoins sexuels.

Ce n’est pas avec fierté que je vous raconte cette partie de ma vie, mais je ne ressens pas non plus de honte dans ce que j’ai fait. Se prostituer, pour moi comme pour beaucoup d’autres, c’est difficile mais ce n’est pas la fin du monde. On peut-tu être libre de faire ce qu’on veut de notre sexe ?

Durant mon parcours, j’ai vu de la souffrance. Mais j’ai aussi vu des filles faire vivre leur enfant et leur mère, des filles économiser pour leur retraite, des filles se payer une belle maison, des filles ouvrir une bijouterie, une chocolaterie ou une boutique de vêtements.

À mon humble avis, la prostitution est un travail de service qui ne pourra jamais être complètement contrôlé ou éliminé. Nous devrions peut-être accepter ce qu’on ne peut changer.

***

Ce texte figure dans l’édition du 1er juin de L’Itinéraire.

À lire dans cette édition:

  • Le travail du sexe : portraits multiples, flou législatif
  • Chronique de notre camelot Yves Manseau : Morts aux mains des policiers, la justice trop complaisante ?

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