De Guy Turcotte au juge Delisle

Photo: Jacques Boissinot/La Presse canadienne

Le cas du cardiologue Guy Turcotte et celui du juge à la retraite Jacques Delisle apparaissent très différents. En réalité, ils sont similaires sur plusieurs plans.

Tous deux sont, à première vue, des cas indéfendables. Le premier a éventuellement été déclaré criminellement non responsable du meurtre de ses enfants, meurtre qu’il a admis et dont il se rappelle dans le détail. Le second plaide que sa femme, âgée de 71 ans et partiellement paralysée, se serait suicidée à l’aide d’un fusil qu’elle tenait à l’envers.

Tous deux occupent des professions parmi les plus respectées. Le premier était médecin d’une spécialité prestigieuse, le second un juriste de très haut niveau. Les cardiologues sont une espèce rare. Les juges ayant siégé à la Cour d’appel aussi.

Enfin, tous deux ont placé leurs espoirs entre les mains de plaideurs redoutables soutenus par des expertises élaborées. Et fort coûteuses. Dans les deux cas, les honoraires déboursés doivent dépasser allégrement le cap des six chiffres. Pour faire court : dans l’un et l’autre procès, l’artillerie juridique employée par les avocats des accusés pour leur défense est largement au-delà de ce que peut s’offrir le justiciable moyen. (AJOUT: selon l’évaluation d’un ami criminaliste, il serait plus juste de parler de « plusieurs centaines de milliers de dollars » dans chacun des cas, en incluant la préparation au procès.)

Le verdict dans l’affaire Turcotte a suscité un tollé compréhensible. On a beau se répéter qu’un jury de 11 personnes s’est prononcé de façon unanime après avoir entendu toute la preuve, on doit se faire violence pour accepter que justice a été rendue. L’attitude surréelle et désinvolte de Turcotte entretient le doute : comment ce type peut-il tout bonnement souhaiter refaire sa vie et avoir à nouveau des enfants après les gestes horribles qu’il a commis, comme s’il n’en était rien? Qu’il ait été responsable ou non, on s’attendrait à tout le moins à un minimum de contrition.

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Dans le procès Delisle, les jurés recevront les directives du juge aujourd’hui. Plusieurs éléments du dossier laissent perplexe : le fait que l’accusé ait mentionné à deux reprises aux ambulanciers que sa femme ne voulait pas être réanimée; la durée de la sortie pour une course à une épicerie voisine, qui a servi d’alibi;  la façon dont l’arme a été manipulée par l’accusé après le drame; et la façon peu commode dont Marie-Nicole Rainville aurait tenu l’arme pour mettre fins à ses jours, bien sûr.

Il reste qu’un accusé est toujours présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée hors de tout doute raisonnable. Si on ne peut y arriver, Jacques Delisle doit être acquitté. Ce sera au jury d’en décider.

Peut-être aussi que Guy Turcotte était dans une telle détresse psychologique au moment de transpercer ses enfants de dizaines de coups de couteau qu’il n’était plus lui-même, et que d’autres gens autrement sains d’esprit auraient réagi de la même façon dans une situation semblable. Peut-être que la décision dans le procès Turcotte était, en fin de compte, juste et justifiée.

Mais si Jacques Delisle est acquitté, il pourra rester, comme dans le cas de Guy Turcotte, un arrière-goût désagréable qui mine lentement mais sûrement la nécessaire confiance que le justiciable doit avoir envers les institutions dont il dépend : à savoir qu’il semble plus facile de soulever un doute raisonnable sur sa culpabilité lorsqu’on a des moyens que les gens ordinaires n’ont pas.

C’est peut-être devenu normal. Mais ce n’est pas inévitable, ni acceptable.

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