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Nos ghettos: L’inconnu au bout de la rue

Photo: Patrice Lamoureux

On dit parfois que l’inspiration se trouve au coin de la rue. Pour le comédien et dramaturge Jean-François Nadeau, l’inspiration se trouvait à l’angle de Bélanger et de la 2e Avenue.

C’est dans cette zone un peu délaissée qu’a germé Nos ghettos, une pièce qui fait le procès de ce fameux «vivre-ensemble» tant galvaudé par nos politiciens.

«J’habite dans ce coin-là depuis 5 ans et j’ai remarqué ce tronçon commercial que je trouvais particulièrement laissé à l’abandon. C’est à la frontière de trois quartiers, Rosemont, Saint-Michel et Villeray, et il y a là un esprit d’entre-deux, de laisser-aller assez intéressant, explique Nadeau, qui est aussi membre des Zapartistes.

«Les commerces sont très peu fréquentés. Et s’ils le sont, ce sont par des groupes ethniques toujours très distincts: les Haïtiens à un endroit, les Chinois à un autre, les Congolais à côté des Latinos et des Maghrébins. C’est un bon polaroïd d’une cohabitation qui est merveilleusement paisible mais qui ne remplit pas les promesses du vivre-ensemble.»

C’est surtout la douce indifférence entre tous ces citoyens d’origines diverses, Québécois «de souche» compris, qui a marqué l’auteur.

«Cette indifférence n’est jamais violente, mais on dépense beaucoup plus d’énergie à s’ignorer qu’à se rencontrer. On est ben bons pour parler de rencontre, mais dans les faits, dans l’action, dans le quotidien, ça ne se passe pas. Et pas seulement entre groupes sociaux ou ethniques mais aussi avec son propre voisin.»

Nos ghettos, qui est montée dans le cadre du Festival TransAmériques, se présente comme un «brûlot pour massacrer nos vœux pieux».

«Au cours des dernières années, on a tellement voulu donner tort à une certaine droite et au repli sur soi qu’on est souvent tombés dans l’autre extrême.»-Jean-François Nadeau, acteur et dramaturge, qui dénonce l’«angélisme» de certains penseurs pour qui la cohabitation et l’intégration n’est qu’une affaire de beaux discours.

«On fesse un peu sur tout le monde. On dénonce autant les peureux et les racistes que les ultrahumanistes, qui oublient que des lois et des organisations communes peuvent nous aider à cohabiter.»

«C’est lorsqu’on se contente de mots, qu’on se croit dans une pub de Benetton, qu’on se tire dans le pied, juge le comédien. C’est là que les tensions arrivent, parce que l’indifférence et l’ignorance prennent leur place. On a coupé dans les cours de philosophie et d’histoire, dans tout ce qui pouvait développer une connaissance de soi et de l’autre, et on s’étonne que ça ne marche pas.»

Inspiré par le concept de psychogéographie, qui étudie les effets de l’environnement sur les émotions et sur les comportements des gens, Jean-François Nadeau a observé son voisinage d’un œil nouveau et a fréquenté ces boutiques où il n’avait jamais mis le pied.

Accueilli avec un mélange de suspicion et d’indifférence, l’auteur a transposé son expérience dans ce conte urbain aux allures tragicomiques.

Il interprète le personnage principal et narrateur qui, un beau matin, en quête de «ce qu’il faut pour faire des grilled cheese et de la soupe aux pois», doit s’enfoncer à contre-cœur dans ce «ghetto qui n’en est vraiment pas un».

«Comme Ulysse, il part pour un long voyage où il trouvera sur sa route des embûches, des alliés. La pièce a la forme classique d’un conte avec des retournements, un climax et presque une morale à la fin».

Ce voyage halluciné se déroule sur une musique funk («clin d’œil aux Blancs qui jouent de la musique noire») signée Stefan Boucher, avec qui Jean-François Nadeau avait déjà collaboré sur le décapant projet Tungstène de bile.

«Ce n’est pas du spoken word, mais on veut que la musique, nos corps et le verbe ne fassent qu’un. C’est très ambiteux, mais je pense qu’on y arrive à plusieurs reprises dans le spectacle,  précise l’auteur. Tout cela sans tomber dans la chanson, dans la comédie musicale ou dans le spectacle de poésie. Qu’est-ce que c’est? Je ne sais pas. C’est pour ça qu’il faut venir le voir.»

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