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En vouloir à Bouchard-Taylor

Frédéric Bérard

Cette chronique, je vous l’avoue, s’annonce difficile. Très. Parce qu’au contraire de ce que certains osent avancer aujourd’hui, Charles Taylor et Gérard Bouchard constituent deux des plus grands intellectuels québécois. Sans contredit. Vous en connaissez beaucoup, vous, de nos compatriotes qui se retrouvent dans le dictionnaire de philosophie d’Oxford comme Taylor? Vous avez lu un ou plusieurs de ses bouquins? Et ceux de Bouchard? Faudrait commencer par cela, avant de les traiter de duo comique. Parce que, sérieux, on parle d’une crème reconnue unanimement – jusqu’à ce que quelques médias, porteurs d’une mauvaise foi évidente, aient récemment décidé de les réduire au rang de bouffons. L’effet miroir, probablement.

Difficile mais nécessaire, je crois. Et ça fait longtemps que je la rumine, m’autocensurant à l’os. Sauf que là, ça suffit. Le gâchis des audiences afférentes au projet de loi 21 (pouvait-il en être autrement?) oblige à souligner l’indubitable : la présente catastrophe est née, somme toute, du rapport Bouchard-Taylor. Ou plutôt du fait d’une contradiction interne. Je m’explique. Quelle est, dans son essence, la conclusion principale dudit rapport? Celle-ci : il n’existe au Québec aucune crise des accomodemments raisonnables. Nada. Uniquement quelques artifices provoqués par, encore une fois, quelques médias. Je vous laisse deviner lesquels.

Jusque-là, tout va. Conclusion juste et courageuse, contredisant dès lors les fomenteurs de haine, nombreux, qui sévissent à la petite (ou plutôt à la grande) semaine. Conclusion d’ailleurs étayée par l’empirisme : la Commission des droits de la personne reçoit une moyenne annuelle de…quatre à six plaintes pour accomodements raisonnables pour motifs religieux. Sur plus de huit millions d’habitants. Les nerfs, en bref.

Par crainte de l’opprobre populaire, ces deux intellectuels­ d’exception­ ont créé – sans autre motif – une bête indomptable­, qui s’engraisse davantage chaque jour, depuis 10 ans, à même une haine apparemment intarissable.

Là où le bât blesse, alors? Ici. Manifestement par crainte de voir leur rapport pulvérisé par les mêmes fomenteurs de haine ci-haut discutés et, à une moindre échelle, par l’opinion publique tout court, les commissaires ont cru bon y aller d’une proposition dite modérée : les fonctionnaires en position d’autorité et jouissant de pouvoir coercitif devraient retirer, le cas échéant, tout signe religieux dans le cadre de leurs fonctions, soit les policiers, gardiens de prison et juges. Catastrophe.

D’abord parce qu’il est impossible pour le législatif, constitutionnellement parlant, d’exiger une chose pareille chez les juges. Ce qu’on appelle la séparation des pouvoirs.
Deuxièmement, parce qu’aucun policier ou gardien de prison ne porte de signes religieux, comme le confirment leurs syndicats respectifs. ZÉRO. Appelons ça trouver une solution à un faux problème, comme l’a d’ailleurs admis depuis Taylor, avec courage et humilité.

En plus de ce qui précède, et comme en a témoigné Bouchard à la commission, il n’existe aucune preuve de prosélytisme chez les enseignantes portant un signe religieux. En existe-t-il davantage du côté des flics et des gardiens de prison? Non plus. Alors donc? Pas pareil? O.K. Alors va expliquer ça à X et Y. Bonne chance.

En fait, et dans la tête collective, convenons que la distinction entre le port d’un signe religieux chez un gardien de prison ou une enseignante est inexistante. Et comme les gens sont particulièrement frileux quant à l’influence que pourraient avoir lesdites enseignantes sur leurs enfants, eh ben voilà…

Conclusion? Par crainte de l’opprobre populaire, ces deux intellectuels d’exception ont créé – sans autre motif – une bête indomptable, qui s’engraisse davantage chaque jour, depuis 10 ans, à même une haine apparemment intarissable. Quel gâchis.

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