Entre-saisons

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne d’autobus 80, en direction sud. C’est vendredi, il est 15 h 10.

C’est un vendredi de novembre des plus classiques. Le plafond est bas et gris. Le vent souffle, un peu trop fort. On a froid si on n’est pas emmitouflé et, si on l’est, on crève de chaud.  Tout comme la file d’adolescents qui sortent du collège voisin et attendent le bus, je me trouve dans cet interstice, là où ce n’est plus vraiment l’automne et pas encore l’hiver.

Mon attention est soudainement attirée par un jeune garçon d’environ 15 ans et par une adolescente sensiblement du même âge.

Eux non plus ne savent pas trop dans quelle saison ils se trouvent. Ils ne sont plus des enfants, pas encore des adultes. Elle porte du rouge à lèvres, fait des ballounes avec sa gomme, a mis une jolie tuque, mais est pieds nus dans ses chaussures. Lui est le fier propriétaire d’une timide moustache duveteuse, il est vêtu d’un manteau lui aussi en duvet et porte des shorts.

Ces deux-là se plaisent, de toute évidence, mais ne veulent surtout pas le laisser paraître. Ce qui se traduit par des «tirages de pipe», des bousculades et des feintes d’indifférence. Leurs amis, qui voient clair dans leur jeu, lancent à l’unisson des : «Ouais! Monica pis Nick! Dites-le donc que vous êtes in love!»

Il n’en faut pas moins pour que les deux soi-disant non amoureux redoublent de dédain l’un pour l’autre. «Êtes-vous malades!?» de répondre Monica avec l’air qu’on arbore quand on sort à la ruelle un sac de vidanges qui pue et dégouline.

Nick, qui ne se laisse aucunement intimider par le rejet de sa non-promise, rétorque qu’elle est bien trop bébé pour lui. Lui qui s’intéresse aux femmes matures. Cette réplique pique la demoiselle au cœur de son orgueil et fait éclater sa bulle de gomme.

Le bus arrive. La ribambelle d’étudiants monte à bord. Je les suis d’assez près pour constater que Nick et Monica sont assis l’un à côté de l’autre. S’ignorant avec détermination. Mais leurs genoux se touchent. Ils sont définitivement entre deux saisons. Et en ce moment, pour les confondre encore davantage au sein des chapitres de leurs vies et malgré le fond de l’air qui sent presque la première neige, c’est, pour eux, un peu le printemps.