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Les sains désaccords

Judith Lussier

Quelque 50 ans après les émeutes de Stonewall aux États-Unis et la décriminalisation de l’homosexualité au Canada, certains s’étonnent que la communauté LGBTQ+ ne forme pas un bloc monolithique parlant d’une même voix. Pourtant, il n’y a rien de plus sain que ces désaccords qui ne prouvent qu’une seule chose : nous sommes rendus là dans notre émancipation.

En juin, alors que New York s’apprêtait à tenir son 50e défilé de la fierté, une division se faisait sentir à l’égard de la présence policière et des «partenaires corporatifs» désireux de s’associer au mouvement. Dans ce genre de débat, il est important de comprendre d’où on vient, mais aussi où on va. Pour les anciens, les contingents policiers dans le défilé contrastent avec la brutalité subie dans les années 1960 et constitue une avancée pour les droits des minorités sexuelles. Mais pour ceux qui souhaitent inclure dans la lutte diverses réalités, notamment celles des personnes racisées, la répression policière continue d’être conflictuelle et la présence de forces de l’ordre, problématique.

Il en va de même des partenaires corporatifs. L’association de banques, commerces de détail et restaurateurs à la Fierté témoigne de leur appui à la cause et à leurs employés faisant partie des minorités sexuelles et de genre. Plusieurs membres de la communauté LGBTQ+ s’en réjouissent, mais d’autres critiquent aussi légitimement l’hypocrisie d’entreprises soucieuses de bien paraître auprès d’une communauté de plus en plus en moyens, tout en ayant des politiques oppressives auprès de communautés plus marginalisées, comme les personnes trans ou non binaires.

Dans ce genre de débat, il est important de comprendre d’où on vient, mais aussi où on va.

Les mêmes divisions existent au Québec, où un groupe Facebook réunissant quelques centaines de personnes a manifesté son désaccord envers la présence du premier ministre François Legault au défilé de la Fierté. Plusieurs raisons justifient cet inconfort, alors que le gouvernement de la CAQ a adopté des politiques qui laissent derrière certains membres de nos communautés, en plus de fragiliser dans leur ensemble les droits des minorités. Bien qu’on puisse se réjouir de la présence du premier ministre au défilé de la Fierté – présence qui s’avère incontournable pour les titulaires du poste depuis plusieurs années –, rappelons que François Legault est le seul chef ayant boudé le même défilé l’an passé. En pleine campagne électorale, ça pouvait envoyer le message que l’électorat LGBTQ+ n’était pas important pour son parti.

Cette semaine, des membres influents de la communauté ont accusé certains objecteurs de conscience de tenir des propos haineux et qualifié d’«intolérants» ceux qui s’opposent à la présence de François Legault au défilé de la Fierté. Certains affirment avoir eux-mêmes subi de l’intimidation de la part de militants LGBTQ+ qualifiés d’«extrême gauche» suivant leurs prises de position sur des enjeux ayant trait à la diversité sexuelle et de genre. Je ne doute pas que certains militants aient pu dépasser le cadre poli du débat. Mais il ne faudrait pas confondre critiques nécessaires et propos haineux, comme on le fait trop souvent dans une conception à deux vitesses de la liberté d’expression. Il ne faudrait pas non plus oublier comment certains propos envers les personnes les plus marginalisées peuvent revêtir autant sinon plus de violence que les insultes, même lorsqu’ils sont enrobés des formules de politesse attendues.

Les divisions au sein d’une même communauté sont saines et normales. Pourvu qu’elles ne nous conduisent pas à nous miner les uns les autres, et que les ennemis communs, l’intolérance et l’exclusion ne soient pas perdus de vue.

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