Batman, Toronto et les drames évitables

Séquence prévisible : un désaxé tue une douzaine de personnes, les médias s’emballent et, encouragés par les journalistes qui doivent nourrir la machine à nouvelles, des experts échafaudent mille et une théories pour expliquer l’inexplicable ou pour nous dire comment empêcher qu’il survienne.

Si ça existait, on l’aurait, comme dirait l’autre.

Une experte en gestion de crise voudrait voir des policiers partout les soirs de première. Dans les centre d’achats, dans le métro et à tout événement de foule, tant qu’à y être? Est-ce qu’on croit vraiment qu’on pourra détecter, partout, tous les fous qui veulent tirer sur une foule? À quel prix y arrivera-t-on?

Un psychiatre qui obsède sur la violence dans les médias, lui, nous explique presque que la télé ou le jeu vidéo modifie le cerveau de façon à ce qu’on trouve normal de tirer sur les gens.

Peut-il aussi nous expliquer pourquoi les Canadiens, qui jouent autant à Call of Duty que leurs voisins Américains, tuent à peu près trois fois moins de monde dans le réel? (en tenant compte de la grosseur de nos populations respectives). Et pourquoi les Britanniques, qui sont autant des adeptes de la Xbox que les nord-américains, sont beaucoup moins violents que les deux premiers?

C’est un problème de culture, que l’on n’a pas ici, ou en tout cas pas à ce point, parce qu’il n’est pas écrit dans notre constitution qu’on a le droit de s’armer. Mais ça rappelle tout de même la nécessité de resserrer au maximum la circulation des armes à feu. Avec un peu de chance, cela va nous éviter une tuerie de temps à autre, quoi qu’en pense notre gouvernement fédéral.

On s’illusionne cependant si on croit qu’on pourra arrêter à l’avance tous les débiles déterminés à causer de graves dommages. Surtout avec l’attention qu’on donne au dit débile après son crime en le nommant et en placardant son portrait partout, ce qui est précisément ce qu’un type en mal d’attention recherche, et ce qui inspire aussi de funestes projets à d’autres crétins impressionnables.

La meilleure façon d’éviter d’encourager la répétition d’un tel comportement, aussi horrible soit-il, c’est de l’ignorer.

Parlons sobrement des victimes plutôt que de faire du tueur un héros.

***

Toronto maintenant : les fusillades qui ont fait quatre morts en trois jours la semaine dernière n’ont rien à voir avec l’idiot qui s’est pris un instant pour un personnage de bédé à Aurora. Mais il s’agit aussi d’une question de culture, celle-là en train de s’importer tranquillement de chez nos voisins au sud.

C’est dommage, mais il n’y a pas de remède instantané à une situation qui pourrit tranquillement et de façon presque invisible pendant des années. Je dis « presque », parce qu’on peut le voir en s’ouvrant un peu les yeux. Pendant qu’on ignore ces oubliés du système, ils se marginalisent, ils se radicalisent, ils se scandalisent, et ils ont les même griefs envers ce qui est essentiellement une injustice de naissance, qu’ils aient vu le jour à New York, Chicago, Toronto ou Montréal.

Exclus par la vie, ils vivent dans un monde où la drogue est une porte vers les filles et le fric facile, une sorte de Far West urbain dans lequel on prouve sa supériorité à coups de flingue.

La répression sans nuances ne fait qu’accentuer le problème, alors que les solutions durables et éprouvées demandent temps et patience : aider, éduquer, occuper et tolérer quelques erreurs. Pour ceux qui s’en sortent mieux, arrêter de faire semblant que la pauvreté et la misère n’existent pas près de nous simplement parce qu’on a les moyens de se procurer le dernier iMachin. C’est probablement le plus grand crime par omission de nos sociétés modernes.

Et c’est ce qui me fascine et me désole à chaque fois : cette façon dont on se projette dans ces drames gratuits, mais inévitables dans l’immédiat, comme pour satisfaire notre besoin de s’épouvanter et de se sentir impuissants. C’est le piano qui tombe sur la tête : absurde, mortel et injuste, mais qui en bout de ligne n’incarne que la malchance d’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. Comme cette jeune journaliste qui a échappé à la fusillade de Toronto pour se faire cribler de balles dans un cinéma du Colorado quelques jours plus tard.

S’en émouvoir nous dispense de penser aux 17 000 d’enfants qui meurent de faim chaque jour dans le monde. Ou, plus simplement, de ceux qui, jeunes et vieux, vivotent ici, sous nos yeux, dans la pauvreté et l’indignité, et de tous ces drames évitables.

Mais parler de ceux-là nous obligerait à reconnaître qu’on peut les aider, et qu’on préfère pourtant faire comme s’ils n’existaient pas.

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