Macramé matinal

Autobus 97, direction est. Il est 8 h 30. Il doit avoir 30 ans. Il est chic: complet, cravate, porte-documents posé au sol, coincé entre ses pieds. Il est assis et me fait face. En fait, je vois d’abord le dessus de sa tête puisqu’il est penché sur une paire d’écouteurs, occupé qu’il est à essayer d’en dénouer le fil qui s’est solidement emmêlé. 

La série de nouds rappelle une pièce de macramé. Ne manquent que les billes de bois, et nous aurions un audacieux hibou des années 1970. L’homme aborde d’abord la chose avec calme. Tel un sage japonais qui taille son bonsaï, il cherche méticuleusement à savoir comment déjouer le casse-tête afin de pouvoir enfin écouter sa musique ou prendre ses appels sur son téléphone intelligent.

Avec parcimonie, il tente de détresser la chose. Mais dès qu’il dénoue un bout, il crée un noud ailleurs. Je perçois un soupir lourd. L’homme change de tactique.  Cette fois, il secoue énergiquement le spaghetti emmêlé et observe la chose, les sourcils froncés. Comme s’il s’apprêtait à jeter un sort au fil pour qu’il se délie par magie.

Autre soupir. Plus près du râle, celui-là.  On sent sérieusement poindre l’exaspération. Il siffle entre ses dents un «Ben voyons c….!». Il triture le fil avec violence.  Ses écouteurs ont peur, mais ils ont de la chance :  l’homme n’a pas de ciseaux sur lui.

Pour se recentrer, celui qui commence à ressembler à l’Homme Araignée ferme les yeux. Il se concentre afin de trouver en lui la quiétude.  Après sa courte méditation, il reprend du service. Méthodiquement, un noud à la fois. Il démêle finalement le tout. Ça y est. Il va pouvoir écouter sa musique ou ses messages. Il fouille dans ses poches. Puis dans sa mallette.  Plus énervé, de nouveau dans ses poches. Il ne trouve pas son appareil. Il a dû l’oublier.

Il y a des matins comme ça, me dis-je, en reprenant la grille de mots croisés que j’avais abandonnée, n’arrivant pas à la résoudre.